De tous les signataires de L’Œil cacodylate, ils furent les plus populaires. Le grand public les a adorés, les peintres (Fernand Léger, Miró – qui leur consacre deux toiles en 1927), les poètes, les écrivains n’ont eu de cesse de faire leur éloge. Darius Milhaud
composa une version pour piano et petit orchestre, issue de son Bœuf sur le toit, intitulée Tango des Fratellini (Op. 58c). Milhaud témoignera plus tard : « Après le dîner, attirés par les manèges à vapeur, les boutiques mystérieuses, la Fille de mars, les tirs, les loteries, les ménageries, le vacarme des orgues mécaniques à rouleaux perforés qui semblaient moudre implacablement et simultanément tous les flonflons de music-hall et de revues, nous allions à la Foire de Montmartre, et quelquefois au cirque Médrano pour assister aux sketches des Fratellini qui dénotaient tant d’imagination et de poésie qu’ils étaient dignes de la commedia dell’arte. » (1) La publicité s’empara de leur succès (on les voit poser devant une Amilcar, la marque de voiture préférée de Fatty), on fabriqua d’innombrables jouets à leur effigie, sans parler des broches, des peignes, des verres et jusqu’au papier peint destiné aux chambres des enfants. Dès 1923, un certain Pierre Mariel leur consacre un livre : Les Fratellini. Histoire de trois clowns. (2) Paul Poiret dessina un costume pour François, Rita Hayworth, Fred Astaire, Douglas Fairbanks (parmi quelques centaines d’autres admirateurs, et non des moindres) signèrent leur livre d’or. Le 29 juin 1924, les Fratellini (Paul, 1877 - 1940 ; François, 1879 - 1951 et Albert, 1886 - 1961) donnèrent leur dernière représentation à Médrano. Quelques jours plus tard, sous la plume du très lyrique Gustave Fréjaville, on pouvait lire dans Comœdia : « Ils ont été applaudis avec enthousiasme, rappelés, acclamés. Des gerbes de fleurs ont envahi la piste. Et comme nous allions leur serrer la main après la représentation, dans cette loge pittoresque cent fois décrite, nous avons assisté à un spectacle émouvant que ne déparait aucun médiocre romantisme : tandis que Paul essayait de dissimuler son émotion sous une activité empressée et prodiguait à ses amis des paroles aimables, tandis que l’énigmatique Albert, toujours impénétrable, s’évertuait silencieusement, avec une application affectée, à détruire sur son visage son prodigieux masque de piste, François, lui, ne songeait pas à feindre et tout simplement, à grosses larmes, à gros sanglots, éperdu de reconnaissance et de regret, pleurait comme un enfant. » (3)
De Médrano au Cirque d’Hiver en passant par de nombreuses tournées en province et à l’étranger, leur succès durera trente ans. En 1955, Albert publie les mémoires du trio sous le titre
Nous, les Fratellini,