29 août 2006

Ce soir, relâche

Lettre d'Erik Satie adressée à Francis Picabia (3 janvier 1921) et publiée dans Le Pilhaou-Thibaou [10 juillet 1921]
Erik Satie, Gnossienne n° 5 interprétée à l'accordéon par Teodoro Anzelotti (Winter & Winter ed.)

20 août 2006

Dans les rues d'Antibes

Cher ami Nous avons atteint la méditerranée en moins de quatre jours, c’est un record. L’automobile ne nous a causé aucun souci. Nous profitons de cette petite halte pour vous adresser nos meilleurs sentiments et vous informons que nous rentrerons vers le 15 septembre car nous entendons profiter d’une lumière encore bien vive. Nous logeons à la Villa Alba où nous avons tout confort. Hier, Germaine et Suzanne sont allées se faire faire une beauté chez M. Chauve. Voilà un nom qui ne s’invente pas ! Tout l’équipage (Jean, Suzanne, Germaine et Francis) pense bien à vous. F.P.

17 août 2006

Beam me up, Scotty !

Paris, 17 août 1921 Cher ami ! Quelques nouvelles d'un fort curieux endroit que certains nomment déjà "Paris à la plage" ! Il paraît même que les gazettes présentent nos bords de Seine comme un lieu mythique ! Mais qu'importe après tout, c'est un lieu formidable où nous avons beaucoup plaisanté ! Suzanne, Germaine et Marcel (qui ne quitte pas son pull-over !) se joignent à moi pour vous adresser une cordiale poignée de mains. Francis

Clichés d'un lieu mythique

Alors que je ne l’attendais plus, j’ai reçu ce soir le catalogue de l’exposition Au temps du « Bœuf sur le Toit ».

Satisfait (pour y avoir découvert quelques documents que je ne connaissais pas), un peu déçu (de ne pas y trouver, par exemple, la reproduction de la pièce 249 de l’exposition : Carte des champagnes du « Bœuf sur le Toit » illustrée d’un dessin de Jean Cocteau) et soulagé (de constater que les notices de quelques signataires de L’Œil Cacodylate demeurent relativement brèves). Etonné d’y trouver la reproduction d’une gouache de Jean Hugo (malheureusement en noir et blanc), une de ses dernières productions, et justement consacrée à l’intérieur du Bœuf sur le Toit (côté Bar).

Jean Hugo, Souvenir du Bœuf sur le Toit, avril 1981

Dans sa gouache, Jean Hugo a représenté L’Œil Cacodylate (sur lequel je crois reconnaître les noms de Tzara, Milhaud et De Massot) accroché au mur de droite, près du piano sur lequel jouèrent Clément Doucet, puis Jean Wiéner, lequel composera la musique du film Touchez pas au grisbi en 1954. Détail d’importance, et qui vient contredire la légende d’une des rares photographies (1924 – Man Ray ?) prises à l’intérieur du Bœuf sur le Toit :

« On reconnaît à gauche, assis sous L’Œil Cacodylate de Picabia, Louis Moysès […] Or, depuis la découverte de cette photo il y a quelques mois, il m’a toujours semblé que Louis Moysès était tout simplement assis sous un miroir. Une reproduction agrandie de cette photo figure dans le catalogue Artcurial et permet de constater les reflets des bouteilles alignées sur le bar. Mais il est probable que L’Œil ait été protégé par une glace. Doit-on se fier à la mémoire de Jean Hugo, qui place donc L’Œil sur le mur de droite ? Insignifiants détails !

Enfin, autre surprise, ce dessin accompagné d’un portrait collage, réalisé par Maurice Sachs en 1925 : « A mon cher Raoul [Leven] pour qu’il pense à moi et au [Bœuf sur le Toit] pendant son beau voyage. »

J’ai relevé, une fois de plus, les mêmes regrets, les mêmes souvenirs évoquant Le Bœuf sur le Toit, à croire que ce lieu, en ces quelques années vingt, fut le théâtre d’une vie magnifique et insouciante. J’ai repensé au texte de Roland Barthes (Au "Palace" ce soir - 1978 - Œuvres complètes, tome V, pp 456-458, Le Seuil)

et me suis demandé ce que pouvait bien être un lieu mythique (ce que fut Le Bœuf sur le Toit) aujourd’hui.

04 août 2006

Raphaël-Schwartz

Peu, si peu d’informations sur Raphaël-Schwartz. Son état civil demeure incomplet. Je n’ai pu trouver ce soir que trois reproductions de ses œuvres. Aucune indication sur l’année de sa mort, y compris dans le Bénézit, consulté cette après-midi à la médiathèque Ceccano d’Avignon, dans une salle fraîche, presque vide, et de laquelle (les fenêtres étant ouvertes) on entendait distinctement les cigales. En attendant une pêche moins infructueuse, je propose la notice du Bénézit * consacrée à Raphaël-Schwartz, ce presqu’inconnu de L’Œil cacodylate.

Raphaël-Schwartz, Femme assise (1907)

Raphaël-Schwartz Né le 1er octobre 1884 à Kiev. XXe siècle. Actif en France. Russe. Sculpteur, peintre. Il a montré ses œuvres, à Paris, aux Salons des Tuileries, de la Société Nationale des Beaux-Arts, et d’Automne. La critique a souvent attaché autant d’importance aux peintures qu’aux sculptures de cet artiste fixé à Paris. P. Sentenac a longtemps étudié les recherches sévères du coloriste, en même temps qu’il louait le statuaire pour son art de traduire « la nudité de la femme dans toute son éloquente simplicité ». On peut en effet rapprocher une toile telle que Jeunesse, d’une discrète volupté, d’une pierre comme : Baigneuse dans quoi la modernité se fonde sur quelque absolu classique. On citera encore un album : Quelques hommes, recueil de portraits gravés d’après nature, les modèles étant : A. France, A. Rodin, A. Gide, C. Debussy, Bergson, H. Poincaré, E. Verhaeren, etc. L’artiste se rendit en Russie où il peignit : Léon Tolstoï sur son lit de mort. * Tome 11, page 441, Gründ, édition de 1999. Quel étonnement de lire, dans cette drôle de bible, que Piero Manzoni partageait avec Yves Klein une certaine mégalomanie. La notice consacrée à Jean Crotti m’a un peu laissé sur ma faim.(Toujours si peu d'informations techniques sur son procédé breveté du "gemmail").

02 août 2006

Moi, mais enfin, tous les gens, faire l'amour (Francis Picabia)

C’est grâce à Fabrice Pascaud, que j’ai pu obtenir aujourd’hui, au cours d’une conversation MSN, deux documents sonores dans lesquels s’exprime Francis Picabia. La voix de Francis Picabia, ici détendue, comme détachée de toute chose grave, peut être apparentée à celle de Duchamp. Détachement, relativisme, une pointe de provocation, de quoi nous distraire quelques minutes avec la voix de l’unique eunuque. Je retiens du premier document ces réparties qui confirment l’amitié de Picabia et de Duchamp :

Jean Daive : Vous êtes allé quelques fois en Espagne, je crois, pour voir les grands maîtres, et vous n’êtes pas arrivé jusqu’au bout ? Francis Picabia : Non, parce que j’ai rencontré un joueur de billard qui m’a beaucoup intéressé alors en descendant à Madrid nous avons été jouer au billard. J’ai passé trois-quatre jours avec lui. J’ai joué au billard et je suis rentré à Paris. J.D. : Vous n’êtes pas allé au Prado ? F.P. : Non, j’avais complètement oublié. Le deuxième entretien, mené par Georges Charbonnier en 1950 * présente un Picabia un peu plus posé, usant de « n’est-ce pas » à la fin de certaines de ses phrases, ces « n’est-ce pas » qui peuvent agacer parfois tant ils sont éloignés du Picabia des années dada. Mais qui pourrait aujourd’hui parler précisément, pertinemment, de Picabia ?

Georges Charbonnier : Mais ce qui me paraît le plus remarquable, au moins le plus intéressant peut-être, c’est Jésus-Christ Rastaquouère. C’est un titre un peu étrange. Francis Picabia : Qui vous a étonné ? G.C. : Absolument. F.P. : Bien. Le mot rastaquouère veut dire un monsieur dont on ne connaît pas les moyens d’existence. Alors si vous connaissez les moyens d’existence de Dieu, dites-les moi. G.C. : C’est une question qu’on a dû vous poser très souvent, déjà ? F.P. : Oui, mais j’ai pas pu y répondre à cette question-là, c’était comme les autres. Beaucoup de curés sont venus me voir pour me demander pourquoi ce mot rastaquouère, n’est-ce pas ? […] G.C. : Votre prochain recueil va paraître prochainement, je crois ? F.P. : Dans un mois à peu près. G.C. : Il s’intitule ? F.P. : Chi-lo-sa. G.C. : Et c’est un recueil de poème en prose ? F.P. : De pensées, n’est-ce pas. Pas particulièrement de poèmes, avec des pensées aussi. C’est Pierre Benoît qui doit le faire paraître. G.C. : Que vous avez écrites récemment je crois ? F.P. : Je les ai écrites l’année dernière en Suisse. G.C. : Je voudrai vous poser un dernière question, une de plus. Qu’est-ce qui vous a vraiment intéressé dans la vie ? F.P. : Ce qu’il y a vraiment d’intéressant dans la vie ? G.C. : Ce qui vous a intéressé, vous ? F.P. : Moi, mais enfin, tous les gens, faire l’amour. [Vous avez entendu Incompatibilité d’humour. Georges Charbonnier vous a présenté "Francis Picabia", avec le concours de Roger Blin et Jean Topard]. * Picabia cite son recueil Chi-lo-sa à paraître « dans un mois » chez l’éditeur alésien Pierre-André Benoît, ce qui date l’entretien de 1950. Chi-lo-sa fut signé par Picabia : « Rubigen, 25 août 1950 » in Picabia Ecrits 1921-1953 et posthumes, p. 305. 2ème tome des écrits complets de Picabia parus chez Pierre Belfond [collection Les Bâtisseurs du XXe siècle, Paris, 1978 – Textes réunis et présentés par Olivier Revault d’Allonnes et Dominique Bouissou]. Les deux tomes des écrits de Picabia ont fait l’objet d’un réédition récente, dirigée par Carole Boulbès et préfacée par Bernard Noël. Editions La Mémoire du Livre, Paris, 2002-2003. Enfin, les éditions Allia ont publié, de Francis Picabia :

4ème de couverture de Jésus-Christ Rastaquouère, Picabia, éd. Allia, Paris, 1996 {Une première édition de ce volume a paru chez Allia en 1992}