24 septembre 2007

Cher Jean


Jean Hugo, Autoportrait [détail], Luxeuil, 1918 (crayon noir, page de carnet)


Jean Hugo, Panneaux de signalisation de chemin de fer (aquarelle, page de carnet, circa 1918)


Vacance, relâche, dilettantisme : trois mots qui pourraient caractériser le blog cacodylate (et qui le caractérisent nonobstant) si ce dernier avait abandonné ses premières amours, i.e. l’établissement d’une longue, longue liste de noms propres et de lieux communs à beaucoup. Histoires plurielles, histoires croisées, anecdotes, correspondances intimes depuis longtemps déjà reléguées dans les archives d’institutions diverses. Incertaines photographies, témoignages de second plan, mémoires défaillantes : tout ce qui constitue les petites histoires d’une autre, plus ambitieuse, qui se veut écrire avec un grand H. La science avec sa grande scie, l’histoire avec sa grande hache, comme on dit en plaisantant.

En parcourant diverses archives, je suis tombé sur des supports de rêveries. Et, plus précisément ce soir, parcourant Le regard de la mémoire de Jean Hugo (Actes Sud / Babel, 1989), j’ai repensé à ce beau catalogue d’exposition : Jean Hugo – Dessins des années de guerre (1915-1919), RMN, Actes Sud, 1994. Le feuilletant, j'en ai extrait ces deux images (respectivement pp. 107 et 126).

Dada fut authentiquement une belle vacance.

« La révolution, c’est les vacances de la vie », écrivait Malraux.

Nos temps incertains et très-angoissés feraient bien d’en prendre de la graine, de se révolutionner un peu et, surtout, de relâcher la pression, afin de libérer un peu de vacance.

La vacance, de et par Roland Barthes.

De la respiration – considérée par Thomas Bernhard.

* * *
Ecoutant les informations et les rapprochant des derniers posts de J.L. Bitton, ce soir, j'apprends le suicide d'André Gorz :
Le philosophe français André Gorz, âgé de 84 ans, cofondateur de l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, s'est suicidé avec sa femme à leur domicile de Vosnon, à l'est de Paris, a-t-on appris lundi auprès de ses proches.

Agence France-Presse, Troyes, France.

«Tu viens juste d'avoir quatre-vingt-deux ans», lui disait-il. «Tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Récemment je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide débordant que ne comble que ton corps serré contre le mien».

et :

«Tu vas avoir quatre-vingt deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien.»

André Gorz, Lettre à D. Histoire d'un amour, Galilée, Paris, 2006.

Que n’ai-je acquis et lu ce volume feuilleté lors de sa parution ?

Depuis longtemps, je n’aime plus le mois de septembre, ce mois assassin, car je sais bien que les suicides sont souvent liés à des histoires d’amour.
Demain, bonbons et dadaïsme pour tout le monde.





Sobbin' Blues - King Oliver's Jazz Band, King Oliver and Louis Armstrong (Chicago, 22/06/1923)

16 juillet 2007

Grand Hôtel des Potassons

Lectures estivales : Léon-Paul Fargue (Portraits de famille, Refuges),



Vicki Baum (Grand Hôtel),


Jean-Paul Caracalla (Montparnasse. L’âge d’or)
et J.G. Ballard (Appareil volant à basse altitude).


Les Portraits de famille de Fargue offrent, entre autres, deux portraits de signataires de L’Œil cacodylate : André Dunoyer de Segonzac et Paul Poiret. Un autre portrait, celui de Réjane, nous reportera directement à Jacques Porel, donc à Jacques Rigaut, et donc à J.L. Bitton, qui poursuit inlassablement sa quête biographique sur celui qui écrivit un jour : « Je serai un grand mort. »

J.L.B. n’a pour autant pas oublié les arabesques du vivant, et nous ne pouvons que l’en féliciter. La ville qu'il s'apprête à rejoindre propose en certains lieux des Toblerone géants, atteignant les 4,5 kg.


Autant dire le paradis sur terre !



08 juin 2007

Le Bœuf, encore

Esquisse * quelque peu guindée et assurément vieille France d’une Troisième République, relatant menues anecdotes économico-politico-artistico-littéraires,



Quand le Bœuf montait sur le Toit ** dresse un portrait assez inégal d’une France qui a traversé 1870, 1914-1918 et le début des années trente. Les faits demeurent essentiellement centrés sur la capitale. En fin de volume, un index des noms cités permet une lecture transversale et quelques recoupements attendus.
Pages 184-185 de l’opus, j’apprends ceci : « Sans oublier, sur la Seine, la péniche-cabaret du Bœuf sur le Toit et les trois péniches-restaurants Amours, Délices et Orgues, aménagées par le couturier Paul Poiret et décorées de toiles imprimées d’après les dessins de Dufy . »
Si j’ai précédemment cité les péniches de Poiret, j’ignorais en revanche l’existence de celle de notre cabaret préféré. Des recherches à son sujet risquent de me demander quelque temps et de m’aventurer sur certains chemins de traverse. Une phrase cependant a retenu mon attention : « Le mouvement Dada sombrera assez vite dans une ennuyeuse outrance. Mais quarante ans plus tard, serons-nous tout à fait exorcisés des sortilèges de désespoir dont il fut le fugitif véhicule ? ». Par ailleurs, à l’occasion des trente ans de la collection l’Imaginaire, Gallimard propose notamment



Le piéton de Paris de Léon-Paul Fargue (photographié ici par © Brassaï circa 1932-1933) accompagné d’un CD sur lequel on peut écouter sa voix en 1951 ainsi que des entretiens (mai et juin 1947) de l’auteur de Haute solitude avec Adrienne Monnier. ***
Le cinquième chapitre du Piéton de Paris (pp. 47-53) s’intitule, ô surprise, Le Bœuf sur le Toit et s’achève, ô tempora ! ô mores ! , sur ces tristes lignes :
« Quant à ceux de la bande Boissy-d’Anglas, ils ont des enfants, des dettes, des postes. J’en rencontre parfois au coin d’une rue ou dans le salon de quelque vieille dame. C’est à peine si nous échangeons une poignée de souvenirs … »

Réunir une poignée de souvenirs, n’est-ce pas ce à quoi nous nous bornons jusqu’à présent ?

* Pour reprendre les propres termes de la note liminaire de l’auteur.
** Jacques Chastenet (de l’Académie Française), Paris, 1958, Librairie Arthème Fayard, coll. Les Quarante.
*** Et pour quelques euros de plus, dans la même collection, Le festin nu de Burroughs agrémenté du film de David Cronenberg, pour ceux qui ont la nostalgie de l’Interzone, des prophéties du mugwump et d’un Tanger stupéfiant.





01 juin 2007

Chère Denise

Les surréalistes pointent le nez tandis qu’avec À l’ombre des jeunes filles en fleur, Marcel Proust rafle le Goncourt aux Croix de Bois de Roland Dorgelès. Phénomène inouï, ce vieux mondain 1900, qui ne parle que de duchesses, de cocotes, d’amours douloureuses et d’introspection à tiroirs, va bientôt rassembler les jeunes loups de la littérature. Tout est alors à l’avenant. L’époque est à la surprise. Il faut étonner, selon le célèbre précepte de Diaghilev à Cocteau. On s’amuse beaucoup. On sort en bande, on dîne dans des endroits impossibles. […] On reçoit ses amis sur le pouce, cocktails ou champagne, avant de dîner à l’extérieur et de finir la soirée dans une boîte de jazz ou un beuglant de la rue de Lappe. C’est l’époque des soirées au Cirque d’Hiver et des sorties à Luna Park. Denise figure souvent en photo dans des aéroplanes en cartons, à côté d’amis. Le groupe des Six commence à marier musique de bastringue et grandes orgues. Le Bœuf sur le Toit n’est pas encore le bar branché où bientôt « la franc-maçonnerie facétieuse de ces nuits-là (Lucinge) apposera sa signature sur le grand tableau de Picabia, L’Œil cacodylate, mais une samba de Milhaud, carnavalesque et endiablée, commande d’Étienne de Beaumont pour un de ses fameux « spectacles-concerts » sur laquelle Cocteau a mis un texte rapide et des entrées de cirque. […]
Cocteau, à l’époque, courait les avant-gardes et ce qui se jouait au Boulevard l’intéressait fort peu. Un jour, prié à déjeuner avec l’auteur dramatique, il s’informa auprès de Jean Auric – l’anecdote est rapportée par Jean Hugo : « Explique-moi : les pièces de Bourdet, qu’est-ce que c’est ? » Auric lui raconta La Prisonnière. Tout au long du repas qui suivit, Cocteau médusa l’assistance en parlant de cette pièce dont il semblait connaître le moindre détail […]. Le poète avait réussi l’un de ses tours des passe-passe préférés ; sans avoir vu la pièce il occupait le devant de la scène. […]
La mode des virées à Luna Park et des spectacles à Médrano commençait à passer. Le bar du Bœuf, dix ans déjà, prenait des allures d’usine à touristes. Mais les bals costumés et fêtes à thèmes, eux, tenaient plus que jamais le haut du pavé et démontraient, saison après saison, la bonne santé du grand monde et son raffinement exquis.
Le couturier Poiret en avait lancé sa mode avec sa « Mille et deuxième nuit », en 1911. Cette idée d’un spectacle sans lendemain que seuls le souvenirs et quelques images protègent de l’oubli avait fasciné les participants. […]

Bruno Tessarech, Villa blanche, Paris, Buchet / Chastel, 2005. Rééd. Gallimard / Folio, 2007, pp. 131-175

Picasso se baignait avec les Beaumont à la Garoupe. Marcel Duchamp disputait des tournois d’échecs à Nice. A Villefranche, Jean Cocteau tentait d’oublier la mort de Radiguet en dessinant des autoportraits dans sa chambre de l’hôtel Welcome.
Laurence Benaïm, Marie Laure de NoaillesLa vicomtesse du bizarre, Paris, Grasset et Fasquelle, 2001. Rééd. Le Livre de Poche 2003, p. 160.



09 avril 2007

Paul Poiret, le "pacha de Paris."

Ouvrant à nouveau L’Air de la Butte d’André Salmon (Les Editions de la Nouvelle France, coll. Chamois, 1945, pp. 163-164),


je suis tombé sur ces quelques lignes qui succinctement évoquent le couturier Paul Poiret :

« Poiret qui ouvre sa maison aux artistes de son choix, qui prépare, dans ses jardins, une fête d'esprit 1889 quand 1900 est encore si près de nous. Poiret ne refoule pas pour autant une grande pensée d'homme qui « habille l'époque ». Ayant lancé la jupe entravée après la jupe-culotte, il songe à réimposer aux clientes pâmées d'obéissance, ivres de soumission, ce singulier objet de coquetterie baroque et dont le souvenir, char­mant quand même, nous est gardé par de plaisants dessins coloriés de Grévin : la tour­nure que, assez longtemps après que nos mères ou grand-mères en firent fi, les boutiquiers de Berlin affichaient encore : Kuls de Paris. C'est un fait que Poiret à qui, non sans hési­tation, j'avais prêté un album de Grévin, y renoncera tout de suite ; il aura cependant essayé. »

« Une fête d’esprit 1889 », écrit Salmon, évoquant sans doute la plus somptueuse des soirées organisées par ce couturier qui a mené une vie fastueuse, ce qui précipita, en partie, la perte de son entreprise. J’ai conservé une copie, de mauvaise qualité, d’une photographie de cette « 1002 ème nuit de Poiret » qu’évoque [peut-être, ici] André Salmon :



« Les parfums de Poiret auraient dû promouvoir sa mode ; en les baptisant du nom de sa fille Rosine, le couturier n'atteignit pas son but », lis-je dans mes archives intitulées, on s’en doute, Au temps de l’Œil cacodylate. Problèmes d’archives, justement, car je ne retrouve pas l’auteur de ces lignes, pas plus que quelques photographies des parfums du couturier.
Autre archive relative à Poiret, cet Annuaire du luxe à Paris, issu d’un catalogue spécialisé :

Annuaire du luxe à Paris.
An 1928. P. Devambez, (1928), gr. in-4 carré, toile olive, plat sup. orné du titre en lettres noires et au palladium, contre plats et gardes de papier noir (Magnier frères), 1 f. blanc, 3 ff.n.ch. (portrait-photo, hommage, préface) 116 planches, (5) ff. (faux-titres), 1 f.n.ch. (ach. d'impr.) entièrement montés sur onglets. (M.7) Seule année parue de ce très bel annuaire qui réunit presque tous les grands noms du commerce de luxe de l'époque. <*R> Publié et conçu par Paul Poiret, il est illustré de 116 planches en noir et en couleurs par les plus grands artistes contemporains dont Bellaigue, L. Boucher, Cocteau, Mlle Colin, Crozet, La Jarrige, Deluermoz, Dufy, Dupas, Yan B. Dyl, Fau, Foujita, Gus Bofa, Édy Legrand, Libiszewski, Charles Martin, Mourgue, Sem, Touchagues, Valerio, Van Moppès, etc. <*R>Cet album offre un panorama important sur la publicité des années trente : tailleurs, chapeliers, cannes, bottiers, couturiers, lingerie, fourrures, bijoux, la table, orfèvrerie, primeurs, vins, fleurs, galeries d'exposition, photographes, pharmaciens, restaurants, hôtels, cabarets, voyages, sports, bagages, plages, chevaux, chasse, pêche, etc. <*R>Complet du frontispice : portrait-photo de Poiret par Lipnitzki protégé par une serpente imprimée. <*R>Imprimé par Devambez. Bel exemplaire, rare.

Paul Poiret par Marie Alix, 1925
Enfin, ce dessin de Jean Cocteau (1928), intitulé « Poiret s’éloigne, Chanel arrive », qui dit assez ce passage de mode auquel le talent et les frasques de Poiret ne purent résister (les traits de Cocteau sont ici terriblement justes) :



A lire, donc, de Paul Poiret, En habillant l'époque (première édition : Grasset 1930)



Sans oublier : Revenez-y (Gallimard, 1932) .



Paul Poiret dans ses ateliers, ca. 1920

Et, surtout, cette notice de Claire Papon publiée à l’occasion de la vente Paul Poiret à Drouot :

« Homme véritablement solaire, "King of fashion"... En ce début de XXe siècle, des deux côtés de l’Atlantique, Paul Poiret (1879-1944) fait l’unanimité. On se l’arrache. S’il rayonne sur la mode parisienne et la décoration - il crée en 1911 des ateliers dédiés aux arts décoratifs et une maison de parfums -, Poiret règne également sur la vie mondaine. Sans cesse à la recherche de nouvelles inspirations, l’homme a toutes les audaces pour associer matières originales, imaginer de nouveaux rapports de couleurs et, surtout, simplifier formes et coupes. Tout l’inspire, du Directoire au pays du Soleil-Levant, en passant par la Perse, la Russie, le Maroc ou la Chine. "Je ne prêche pas l’économie, je ne vous parle que d’élégance", déclare-t-il. Comment lui résister ? Même son comptable s’incline quand il lui demande 100 000 F, tout en lui suggérant de ne pas s’y habituer... Mais Poiret aime tellement la fête ! L’une d’elles, la "Mille et deuxième nuit", restera dans les mémoires. Il y a du monde - et du plus beau - en cette nuit du 24 juin 1911 dans le jardin de son hôtel particulier de l’avenue d’Antin : les peintres Van Dongen et Dunoyer de Segonzac, le directeur de magazines de mode Lucien Vogel, le dandy et homme de lettres Boni de Castellane... Des orchestres persans se font entendre dans les bosquets, des perroquets colorent les arbres, tapis et coussins couvrent le sol, tandis que des conteurs et des acrobates transportent les invités dans un autre monde. Bientôt, le sultan Paul Poiret fait évader sa favorite - Denise Poiret, son épouse - de sa cage dorée... L’orientalisme n’est-il pas à son apogée ? Le 20 juin 1912, une nuit, peut-être plus folle encore, réunit à nouveau le Tout-Paris. C’est "La fête de Bacchus". Poiret loue et aménage pour l’occasion, à La Celle-Saint-Cloud, le pavillon du Butard, élevé par l’architecte Gabriel pour Louis XV, en 1750. Quittant les allées de Versailles, dieux, déesses, nymphes et naïades se donnent ici rendez-vous. Le couturier les accueille en Jupiter. Trois cents invités engloutissent 900 litres de champagne et un souper porté sur la tête par vingt maîtres d’hôtel... Isadora Duncan clôt les festivités, s’élançant aux premières heures de l’aube dans une danse avec Jupiter sur une aria de Bach ! En 1913, au retour des États-Unis, où le couturier a fait un triomphe, le tourbillon continue. Chaque année, il célèbre dans les jardins du pavillon d’Antin « La fête des rois » et assigne à chaque invité son royaume. Au lendemain du cauchemar de la Grande Guerre, en 1919, il se lance dans de nouvelles réjouissances et fait ériger, dans son jardin de l’avenue d’Antin, L’Oasis, un dôme gonflable en toile de dirigeable. Celui-ci devient l’écrin de somptueuses fêtes, "Fond de la mer", "La fête de l’Amérique" ou "Les nouveaux riches"... Dans cette dernière, des huîtres sont servies qui contiennent des colliers de perles. Mais l’oasis se transforme bientôt en désert. Les ennuis financiers s’accumulent qui mènent, lentement mais sûrement, à partir de 1920, au désastre. Il faut peu de temps pour devenir l’homme d’une époque révolue. »

Claire Papon, in Gazette de l’Hôtel Drouot, à l’occasion de la vente Paul Poiret, 10 et 11 mai 2005.




31 mars 2007

Picabiennes machineries (relâche)

Francis Picabia, Parade amoureuse, 1917


© Jean-Jacques Lebel




28 mars 2007

Cher Gaston

Parce que Pawlowski fut, comme Georges Casella,


directeur de Comœdia, parce qu’il est cité en 1917 par Francis Picabia dans le premier numéro de 391 1) , enfin parce qu’il plut tant à Marcel Duchamp pour ses Inventions nouvelles et son Voyage au Pays de la quatrième dimension, nous avons tenté une notice bio-bibliographique qui reste bien évidemment à étoffer. Loin des sources officielles, nous avons néanmoins tenté de livrer ici quelques lapidaires indications agrémentées d’une iconographie maison.

Et, avant tout, parce nous aimons bien Pawlowski, figure fuyante de l’entre-deux-siècles dernier.

Dans sa postface à Fallait y penser Les dernières inventions de Monsieur de Pawlowski 2),

François Caradec, nous apprend que Gaston William Adam de Pawlowski vit le jour à Joigny, dans l’Yonne, le 14 juin 1874, à cinq heures du matin. Fils d’Albert de Pawlowski (« ingénieur au bureau central des études de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest ») et de Valérie de Tryon-Montalembert, Gaston fit ses études au lycée Condorcet et à l’Ecole des Sciences Politiques. Le 10 juin 1901, Gaston reçoit le grade de docteur en droit après avoir soutenu sa thèse intitulée Philosophie du travail 3), et publiée (sans doute à compte d’auteur) chez les libraires-éditeurs V. Giard et E. Brière tenant négoce au 16, rue Soufflot à Paris. La même enseigne publia en 1897 sa Sociologie nationale. Une définition de l’Etat 4), un texte de 36 pages si nous nous en tenons à la notice de la base de données BN Opale Plus. Gaston a 20 vingt ans quand il commence de collaborer à l’hebdomadaire Le Rire, qui deviendra Le Rire rouge durant la Première Guerre mondiale. Quatre ans plus tard (1898), sous le nom de W. de Pawlowski, le sixième volume de la « Petite collection du Rire » accueille On se moque de nous 5),

un texte dont nous ignorons encore la teneur mais au sujet duquel nous savons qu’il était épuisé en 1917. En 1900, il se fait « préfacier » (les guillemets sont de François Caradec) d’un volume anonyme portant le titre Bono Dum-dum, Madam’ bono, petites histoires d’outre-Manche, exercice qu’il réitérera en 1904 pour Les Dégringoleurs de Pantes [sic], roman feuilleton signé du pseudonyme Guy Patin d’Emery 6).
Rédacteur en chef du Vélo et de L’Opinion, Gaston de Pawlowski conforte sa carrière de journaliste dans Comœdia, créé le 1er octobre 1907, journal dont il assurera la rédaction jusqu’en 1914. Jean Clair 7) nous apprend que les épisodes du Voyage au Pays de la Quatrième Dimension paraissent dès 1908 en première page de Comœdia.



La première édition du Voyage paraîtra chez Fasquelle en 1912 :

1912 est l’année souvent citée pour cette première édition, cependant, la seule reproduction dont nous en disposons indique l’année 1913. Y a-t-il eu retirage à l’occasion de ce « troisième mille » ?
« […] tout au long de 1911 et au début de 1912, Pawlowski va publier une série de trente articles sous le titre Aristote à Paris où il imaginera un dialogue avec le philosophe, prétexte à des considérations morales, philosophiques et mathématiques où la logique aristotélicienne se voit mise en cause : on y trouve la préfiguration des réflexions qui alimenteront l’univers alogique du pays de la quatrième dimension. » 8) En 1911, Pawlowski préface Le vieux Montmartre d’André Warnod 9), historien de la butte qui en 1955 dressa ce portrait de l’auteur du Voyage :



« Gaston de Pawlowski était un homme qui échappait à toute commune mesure. Il était d’une taille gigantesque, comme son esprit et son intelligence. Il faisait figure de héros de Rabelais. Il était hors du temps présent, aussi bien dans sa façon d’être que dans sa façon de penser. […] Pawlowski avait profondément le sens de l’humour et de l’ironie, mais – de même que Rabelais l’avait fait –, il s’en servait comme truchement pour exprimer les idées les plus subversives, à l’abri de toute censure. » 10)


Gaston de Pawloski, autoportrait

C’est dans les colonnes du Rire rouge, durant la Première Guerre, que Gaston publie chaque semaine ses Inventions nouvelles et dernières nouveautés. Réunies en un in-8 de près de 350 pages en 1916 11) chez Eugène Fasquelle (Bibliothèque Charpentier), ces Inventions suivent Polochon. Paysages animés. Paysages chimériques 12)

paru en 1909 à la même enseigne. Pawlowski signe plusieurs textes dans La Baïonnette 13) ainsi que la préface de Jeph, le roman d’un as (Henry Decoin, L’Edition française, 1917) au cours d’une guerre qui lui inspirera Dans les rides du front (La Renaissance du Livre, s.d. [1917-1918]

et Signaux à l’ennemi illustré par Gus Bofa (Fasquelle, 1918).

Nous n’avons pas encore pris connaissance du contenu des Contes singuliers (La Renaissance du Livre, coll. In Extenso, 1918), aussi demandons-nous à l’éventuel possesseur de cet ouvrage de bien vouloir nous en communiquer, sinon copie conforme, du moins photocopie de la couverture. Au sortir de la guerre qui le mobilisa en 1914 au service-auto (comme Raymond Roussel, qu’il ne rencontra probablement pas, écrit François Caradec), Pawlowski se fait critique dramatique au Journal et collabore notamment à Fantasio et Gringoire. C’est d’ailleurs dans ce dernier organe, du 6 janvier 1932, que nous lisons son dernier texte connu « Œdipe d’André Gide », consultable ici
1923 est une grande année, non seulement parce que Pawlowski fête ses deux ans de mariage avec Marguerite (née Mangin), mais aussi parce que son Voyage reparaît, sous la forme d’un grand in-4 cartonné, illustré par Leonard Sarluis et introduit par un « Examen critique » d’une bonne quarantaine de pages. La même année, Ma voiture de course paraît à la Librairie Ollendorff dans la collection Le roman de sport. La couverture est cependant estampillée Albin Michel. Alors, mercatique éditoriale, rachat du stock par Albin Michel ? Mystère !

Les Annales du 6 décembre 1925 publient « Où allons-nous » (illustré par Delarue-Nouvellière, écrit Pierre Versins) où « Le savant Hydrogène du Voyage […] réapparaît pour une bonne petite satire du XXe siècle. » 14)
Une entrée dans le catalogue d’une librairie ancienne nous apprend ce jour que Pawlowski fut collaborateur au Dictionnaire biographique des Artistes contemporains, Paris, Art et Edition, 1930-1936, 8 vol.
Nous perdons la trace biographique de ce cher Gaston après 1932. Avis, donc, aux scoliastes vertueux qui auront la sympathie de me communiquer tout renseignement relatif à ce trou noir.
La faucheuse surprend Gaston le 2 février 1933. Une crise cardiaque l’emporte en son domicile du 107, rue de la Faisanderie à Paris. Les obsèques ont lieu le 4 février à l’église méthodiste du Saint-Esprit, rue Roquépine et l’inhumation au cimetière du Père-Lachaise (Caradec). Gaston de Pawlowski ne fut pas complètement oublié, du moins des éditeurs, car une troisième édition de son Voyage paraît en 1945 à Bruxelles aux Editions de la Boétie. 15) Tiré à 2050 exemplaires, ce Voyage de Pawlowsky [sic] est illustré par Jean Tauriac.

Il faut attendre 1962 pour un nouveau Voyage publié par Denoël (collection Présence du futur, n° 56,

rééd. en 1971) :


La cinquième édition du Voyage (suivie de la correspondance inédite de l’éditeur et des lecteurs) a vu le jour à en 2002 grâce aux bons soins des éditions Paréiasaure (diffusion l’Autruche guatémaltèque éditore, Poitiers), sous la direction d’Eric Walbecq. BN Opale plus, encore elle, signale : « Comprend des lettres adressées à Gaston de Pawlowski entre 1913 et 1924 et des cartes de visites adressées en 1913 lors de la première édition. »
C’est en 2004 que Jean Clair signe l’introduction d’une sixième édition du Voyage, dirigée par Didier Semin et publiée aux Images modernes dans la collection Inventeurs de formes.
N’oublions pas la réédition des Paysages animés, en 2003, à La Bibliothèque, collection Les Billets, préfacée par Eric Walbecq et Jacques Damade. Enfin, nous découvrons également ce jour l’existence d’un récit biographique signé Martine et Bertrand Willot publié en 2005 (Bassac, Plein Chant n° 80) : « Nous étions trois amis intimes qui avions vingt ans aux alentours de 1897, Bottini, Launay et moi … » dont on peut lire quelques lignes
ici
Last but not least, mentionnons Duchamp Duchamp. Du lard à l’art par Odile Darbelley et Michel Jacquelin, ouvrage parodique, fort amusant, pawlowskien-duchampien et qu’une bonne dose de ‘pataphysique vient ranger parmi les publications dont on ne saurait se priver. 16)
NOTES
[1]« Inventions nouvelles et dernières nouveautés. – Dans le but d’exprimer les réalités spirituelles de ce monde, Francis Picabia demeure résolu à n’emprunter de symboles qu’au répertoires des formes exclusivement modernes.
Un censeur très sensé récemment s’y trompa et crut reconnaître, parmi les tableaux qui figuraient divertissement l’Amour, la Mort, la Pensée, quelque chose comme l’épure d’un frein à air comprimé, ou d’une machine à concasser les noyaux de pêche.
Le tout, arrêté à la frontière avec les bagages d’une parisienne charmante – Madame Nicole André Groult – fut envoyé à M. Painlevé, de l’Institut, au Ministère des Inventions intéressant la Défense Nationale, sous bonne escorte. », in 391 n° 1, 25.01.1917, p. 4.
Note de la première note : « L’incident est véridique : Nicole Groult, sœur du couturier Paul Poiret, fut appréhendée à la frontière française alors qu’elle rapportait à Paris des tableaux mécanomorphes de Picabia. Les douaniers virent dans ces formes mécaniques des épures d’ingénieur et, flairant une affaire d’espionnage, firent convoquer la voyageuse et ses précieuses toiles jusqu’à Paris. Cette histoire est confirmée par un compte rendu enjolivé, mais en termes savoureux, du Journal de Genève, du vendredi 8 mars 1918 […] qui la place à la frontière suisse. Elle est d’ailleurs loin d’être unique et la presse de l’époque rapporte plusieurs incidents analogues survenus à des publications dadaïstes. » In Michel Sanouillet, Francis Picabia et 391, Eric Losfeld, 1966.

[2] Editions Balland,1975 ; rééd. en 1977.

[3] « Dans une thèse pour le doctorat intitulée Philosophie du travail […], je me suis attaché à marquer ce départ entre l’individu et l’Etat, en démontrant qu’un travail identique de l’homme (intellectuel ou matériel, peu importe) représente, dans toutes les civilisations, soit un travail forcé, soit un travail libre, suivant qu’il se rapporte aux besoins de l’Etat ou de l’individu. » In « Examen critique », Voyage au Pays de la Quatrième dimension, Fasquelle, 1923.

[4] « La thèse de l’Animal-Etat ne manque point par ailleurs de séduction logique, et, sans en avoir mesuré suffisamment toutes les inconséquences, j’eus la faiblesse de la défendre en 1897 dans un petit livre intitulé : Une définition de l’Etat. » Ibid.

[5] F. Juven édit., ill. de Launay. [Juven fut le créateur du Rire].

[6] On retrouve la même verve poétique dans le dixième texte de Paysages chimériques, intitulé « La merveilleuse histoire de la princesse Ba-Da-Boum », cette dernière étant issue de la “ troisième dynastie des Azor-Beni-Krock-Miten, branche des Giraffa-Giraf ”…

[7] Jean Clair, Marcel Duchamp ou le grand fictif, Galilée, 1975. L’auteur nous indique également les numéros de Comœdia dans lesquels certains chapitres du Voyage ont initialement paru (avant retouche) : n° 1666, 1673, 1694, 1701, 1708, 1731, 1745, 1770, 1777, 1798, 1805.

[8] Ibid. p. 31-32.

[9] Paris, Figuière – seconde éd. en 1913.

[10] André Warnod, Fils de Montmartre. Souvenirs. Fayard, 1955, pp. 96-97, cité par J. Clair, op.cit.

[11] Notre copie mentionne l’année 1917.

[12] « L’amour mort » qui clôt les Paysages chimériques constituera le XXIe chapitre du Voyage. Polochon. Paysages animés. Paysages chimériques sera republié en 1918 à La Renaissance du Livre.

[13] Voir La Baïonnette n° 122, 1917, dossier « Les inventeurs ».

[14] Pierre Versins, Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction, Lausanne, L’Age d’Homme, 1972 ; rééd. 1984, pp.658-659.

[15] C’est cette édition qui figure dans La bibliothèque de Marcel Duchamp, peut-être, Marc Décimo, Les Presses du Réel, 2002. Le livre de M. Décimo reproduit intégralement l’Examen critique de 1923 et mentionne par ailleurs d’autres numéros de La Baïonnette auxquels Pawlowski a collaboré.

[16] Actes Sud-Papiers, 2001.











18 mars 2007

Darius Milhaud à dada

1917 : Picabia publie en début d’année le premier numéro de 391 à Barcelone ; avec la collaboration de Beatrice Wood et Henri-Pierre Roché, Duchamp publie en avril le premier numéro de The Blind Man ; Erik Satie compose la musique du ballet Parade et est le dédicataire de la première composition de Francis Poulenc (Rhapsodie nègre) ; Darius Milhaud, alors secrétaire de Paul Claudel à Rio de Janeiro, n’a pas encore composé Le Bœuf sur le Toit. Ce sera chose faite en 1919 et sa première représentation, sous forme de ballet, aura lieu le 21 février 1920 à la Comédie des Champs-Élysées.

Le 25 juillet dernier, George Baker (UCLA, Los Angeles), parmi une foule de questions ( « What are all the “things” pasted onto the painting ? »), me posait également celle-ci : […] « What is that thing next to Auric’s teeny face ? »


Je peux enfin vous fournir la réponse, cher George Baker, puisque cette dernière m’a été délivrée lors de la lecture du Groupe des Six (Jean Roy, Le Seuil, coll. Solfèges, 1994, p. 110).



Il s’agit bien de Darius Milhaud, « à la foire de Montmartre » (circa 1920, © collection Mme Madeleine Milhaud). Prise sur un stand, cette photographie est, je pense, contemporaine de cette autre



De gauche à droite : Darius Milhaud, Raymond Radiguet, X, Germaine Tailleferre, X, Jean Cocteau, Valentine Gross, Paul Morand (accroupie : peut-être M. Meyer)

où apparaît également Milhaud. Autre indication bibliographique : Portrait(s) de Darius Milhaud (sous la direction de M. Chimènes et de C. Massip), Bibliothèque nationale de France, 1998, bel ouvrage dans lequel, page 93, on trouve ceci :




Darius Milhaud et Paul Claudel (ou inversement ?) au Brésil en 1918 © Archives Milhaud

01 janvier 2007

Ba-ta-clan

Fin d’année, précipitation, accumulation d’archives photographiques : Dodo Doilac ne fut pas danseuse aux Folies Bergères, comme je l’indiquais par erreur dans mon dernier post, mais bien au Bataclan, autre lieu d’amusements et de paillettes que nous ne connaîtrons jamais. Voici donc un cliché de la devanture du Bataclan, ainsi qu'une affiche des années 30 : du temps où Dodo Doilac remuait du popotin pour le plus grand plaisir de ses contemporains. Il est temps de signaler le blog et le site de Daniella Thompson (auquel j'emprunte ce premier document photographique) découvert il y a quelques mois et dont les pages proposent un étonnant panorama du Bœuf sur le Toit.