31 mars 2007

Picabiennes machineries (relâche)

Francis Picabia, Parade amoureuse, 1917


© Jean-Jacques Lebel




28 mars 2007

Cher Gaston

Parce que Pawlowski fut, comme Georges Casella,


directeur de Comœdia, parce qu’il est cité en 1917 par Francis Picabia dans le premier numéro de 391 1) , enfin parce qu’il plut tant à Marcel Duchamp pour ses Inventions nouvelles et son Voyage au Pays de la quatrième dimension, nous avons tenté une notice bio-bibliographique qui reste bien évidemment à étoffer. Loin des sources officielles, nous avons néanmoins tenté de livrer ici quelques lapidaires indications agrémentées d’une iconographie maison.

Et, avant tout, parce nous aimons bien Pawlowski, figure fuyante de l’entre-deux-siècles dernier.

Dans sa postface à Fallait y penser Les dernières inventions de Monsieur de Pawlowski 2),

François Caradec, nous apprend que Gaston William Adam de Pawlowski vit le jour à Joigny, dans l’Yonne, le 14 juin 1874, à cinq heures du matin. Fils d’Albert de Pawlowski (« ingénieur au bureau central des études de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest ») et de Valérie de Tryon-Montalembert, Gaston fit ses études au lycée Condorcet et à l’Ecole des Sciences Politiques. Le 10 juin 1901, Gaston reçoit le grade de docteur en droit après avoir soutenu sa thèse intitulée Philosophie du travail 3), et publiée (sans doute à compte d’auteur) chez les libraires-éditeurs V. Giard et E. Brière tenant négoce au 16, rue Soufflot à Paris. La même enseigne publia en 1897 sa Sociologie nationale. Une définition de l’Etat 4), un texte de 36 pages si nous nous en tenons à la notice de la base de données BN Opale Plus. Gaston a 20 vingt ans quand il commence de collaborer à l’hebdomadaire Le Rire, qui deviendra Le Rire rouge durant la Première Guerre mondiale. Quatre ans plus tard (1898), sous le nom de W. de Pawlowski, le sixième volume de la « Petite collection du Rire » accueille On se moque de nous 5),

un texte dont nous ignorons encore la teneur mais au sujet duquel nous savons qu’il était épuisé en 1917. En 1900, il se fait « préfacier » (les guillemets sont de François Caradec) d’un volume anonyme portant le titre Bono Dum-dum, Madam’ bono, petites histoires d’outre-Manche, exercice qu’il réitérera en 1904 pour Les Dégringoleurs de Pantes [sic], roman feuilleton signé du pseudonyme Guy Patin d’Emery 6).
Rédacteur en chef du Vélo et de L’Opinion, Gaston de Pawlowski conforte sa carrière de journaliste dans Comœdia, créé le 1er octobre 1907, journal dont il assurera la rédaction jusqu’en 1914. Jean Clair 7) nous apprend que les épisodes du Voyage au Pays de la Quatrième Dimension paraissent dès 1908 en première page de Comœdia.



La première édition du Voyage paraîtra chez Fasquelle en 1912 :

1912 est l’année souvent citée pour cette première édition, cependant, la seule reproduction dont nous en disposons indique l’année 1913. Y a-t-il eu retirage à l’occasion de ce « troisième mille » ?
« […] tout au long de 1911 et au début de 1912, Pawlowski va publier une série de trente articles sous le titre Aristote à Paris où il imaginera un dialogue avec le philosophe, prétexte à des considérations morales, philosophiques et mathématiques où la logique aristotélicienne se voit mise en cause : on y trouve la préfiguration des réflexions qui alimenteront l’univers alogique du pays de la quatrième dimension. » 8) En 1911, Pawlowski préface Le vieux Montmartre d’André Warnod 9), historien de la butte qui en 1955 dressa ce portrait de l’auteur du Voyage :



« Gaston de Pawlowski était un homme qui échappait à toute commune mesure. Il était d’une taille gigantesque, comme son esprit et son intelligence. Il faisait figure de héros de Rabelais. Il était hors du temps présent, aussi bien dans sa façon d’être que dans sa façon de penser. […] Pawlowski avait profondément le sens de l’humour et de l’ironie, mais – de même que Rabelais l’avait fait –, il s’en servait comme truchement pour exprimer les idées les plus subversives, à l’abri de toute censure. » 10)


Gaston de Pawloski, autoportrait

C’est dans les colonnes du Rire rouge, durant la Première Guerre, que Gaston publie chaque semaine ses Inventions nouvelles et dernières nouveautés. Réunies en un in-8 de près de 350 pages en 1916 11) chez Eugène Fasquelle (Bibliothèque Charpentier), ces Inventions suivent Polochon. Paysages animés. Paysages chimériques 12)

paru en 1909 à la même enseigne. Pawlowski signe plusieurs textes dans La Baïonnette 13) ainsi que la préface de Jeph, le roman d’un as (Henry Decoin, L’Edition française, 1917) au cours d’une guerre qui lui inspirera Dans les rides du front (La Renaissance du Livre, s.d. [1917-1918]

et Signaux à l’ennemi illustré par Gus Bofa (Fasquelle, 1918).

Nous n’avons pas encore pris connaissance du contenu des Contes singuliers (La Renaissance du Livre, coll. In Extenso, 1918), aussi demandons-nous à l’éventuel possesseur de cet ouvrage de bien vouloir nous en communiquer, sinon copie conforme, du moins photocopie de la couverture. Au sortir de la guerre qui le mobilisa en 1914 au service-auto (comme Raymond Roussel, qu’il ne rencontra probablement pas, écrit François Caradec), Pawlowski se fait critique dramatique au Journal et collabore notamment à Fantasio et Gringoire. C’est d’ailleurs dans ce dernier organe, du 6 janvier 1932, que nous lisons son dernier texte connu « Œdipe d’André Gide », consultable ici
1923 est une grande année, non seulement parce que Pawlowski fête ses deux ans de mariage avec Marguerite (née Mangin), mais aussi parce que son Voyage reparaît, sous la forme d’un grand in-4 cartonné, illustré par Leonard Sarluis et introduit par un « Examen critique » d’une bonne quarantaine de pages. La même année, Ma voiture de course paraît à la Librairie Ollendorff dans la collection Le roman de sport. La couverture est cependant estampillée Albin Michel. Alors, mercatique éditoriale, rachat du stock par Albin Michel ? Mystère !

Les Annales du 6 décembre 1925 publient « Où allons-nous » (illustré par Delarue-Nouvellière, écrit Pierre Versins) où « Le savant Hydrogène du Voyage […] réapparaît pour une bonne petite satire du XXe siècle. » 14)
Une entrée dans le catalogue d’une librairie ancienne nous apprend ce jour que Pawlowski fut collaborateur au Dictionnaire biographique des Artistes contemporains, Paris, Art et Edition, 1930-1936, 8 vol.
Nous perdons la trace biographique de ce cher Gaston après 1932. Avis, donc, aux scoliastes vertueux qui auront la sympathie de me communiquer tout renseignement relatif à ce trou noir.
La faucheuse surprend Gaston le 2 février 1933. Une crise cardiaque l’emporte en son domicile du 107, rue de la Faisanderie à Paris. Les obsèques ont lieu le 4 février à l’église méthodiste du Saint-Esprit, rue Roquépine et l’inhumation au cimetière du Père-Lachaise (Caradec). Gaston de Pawlowski ne fut pas complètement oublié, du moins des éditeurs, car une troisième édition de son Voyage paraît en 1945 à Bruxelles aux Editions de la Boétie. 15) Tiré à 2050 exemplaires, ce Voyage de Pawlowsky [sic] est illustré par Jean Tauriac.

Il faut attendre 1962 pour un nouveau Voyage publié par Denoël (collection Présence du futur, n° 56,

rééd. en 1971) :


La cinquième édition du Voyage (suivie de la correspondance inédite de l’éditeur et des lecteurs) a vu le jour à en 2002 grâce aux bons soins des éditions Paréiasaure (diffusion l’Autruche guatémaltèque éditore, Poitiers), sous la direction d’Eric Walbecq. BN Opale plus, encore elle, signale : « Comprend des lettres adressées à Gaston de Pawlowski entre 1913 et 1924 et des cartes de visites adressées en 1913 lors de la première édition. »
C’est en 2004 que Jean Clair signe l’introduction d’une sixième édition du Voyage, dirigée par Didier Semin et publiée aux Images modernes dans la collection Inventeurs de formes.
N’oublions pas la réédition des Paysages animés, en 2003, à La Bibliothèque, collection Les Billets, préfacée par Eric Walbecq et Jacques Damade. Enfin, nous découvrons également ce jour l’existence d’un récit biographique signé Martine et Bertrand Willot publié en 2005 (Bassac, Plein Chant n° 80) : « Nous étions trois amis intimes qui avions vingt ans aux alentours de 1897, Bottini, Launay et moi … » dont on peut lire quelques lignes
ici
Last but not least, mentionnons Duchamp Duchamp. Du lard à l’art par Odile Darbelley et Michel Jacquelin, ouvrage parodique, fort amusant, pawlowskien-duchampien et qu’une bonne dose de ‘pataphysique vient ranger parmi les publications dont on ne saurait se priver. 16)
NOTES
[1]« Inventions nouvelles et dernières nouveautés. – Dans le but d’exprimer les réalités spirituelles de ce monde, Francis Picabia demeure résolu à n’emprunter de symboles qu’au répertoires des formes exclusivement modernes.
Un censeur très sensé récemment s’y trompa et crut reconnaître, parmi les tableaux qui figuraient divertissement l’Amour, la Mort, la Pensée, quelque chose comme l’épure d’un frein à air comprimé, ou d’une machine à concasser les noyaux de pêche.
Le tout, arrêté à la frontière avec les bagages d’une parisienne charmante – Madame Nicole André Groult – fut envoyé à M. Painlevé, de l’Institut, au Ministère des Inventions intéressant la Défense Nationale, sous bonne escorte. », in 391 n° 1, 25.01.1917, p. 4.
Note de la première note : « L’incident est véridique : Nicole Groult, sœur du couturier Paul Poiret, fut appréhendée à la frontière française alors qu’elle rapportait à Paris des tableaux mécanomorphes de Picabia. Les douaniers virent dans ces formes mécaniques des épures d’ingénieur et, flairant une affaire d’espionnage, firent convoquer la voyageuse et ses précieuses toiles jusqu’à Paris. Cette histoire est confirmée par un compte rendu enjolivé, mais en termes savoureux, du Journal de Genève, du vendredi 8 mars 1918 […] qui la place à la frontière suisse. Elle est d’ailleurs loin d’être unique et la presse de l’époque rapporte plusieurs incidents analogues survenus à des publications dadaïstes. » In Michel Sanouillet, Francis Picabia et 391, Eric Losfeld, 1966.

[2] Editions Balland,1975 ; rééd. en 1977.

[3] « Dans une thèse pour le doctorat intitulée Philosophie du travail […], je me suis attaché à marquer ce départ entre l’individu et l’Etat, en démontrant qu’un travail identique de l’homme (intellectuel ou matériel, peu importe) représente, dans toutes les civilisations, soit un travail forcé, soit un travail libre, suivant qu’il se rapporte aux besoins de l’Etat ou de l’individu. » In « Examen critique », Voyage au Pays de la Quatrième dimension, Fasquelle, 1923.

[4] « La thèse de l’Animal-Etat ne manque point par ailleurs de séduction logique, et, sans en avoir mesuré suffisamment toutes les inconséquences, j’eus la faiblesse de la défendre en 1897 dans un petit livre intitulé : Une définition de l’Etat. » Ibid.

[5] F. Juven édit., ill. de Launay. [Juven fut le créateur du Rire].

[6] On retrouve la même verve poétique dans le dixième texte de Paysages chimériques, intitulé « La merveilleuse histoire de la princesse Ba-Da-Boum », cette dernière étant issue de la “ troisième dynastie des Azor-Beni-Krock-Miten, branche des Giraffa-Giraf ”…

[7] Jean Clair, Marcel Duchamp ou le grand fictif, Galilée, 1975. L’auteur nous indique également les numéros de Comœdia dans lesquels certains chapitres du Voyage ont initialement paru (avant retouche) : n° 1666, 1673, 1694, 1701, 1708, 1731, 1745, 1770, 1777, 1798, 1805.

[8] Ibid. p. 31-32.

[9] Paris, Figuière – seconde éd. en 1913.

[10] André Warnod, Fils de Montmartre. Souvenirs. Fayard, 1955, pp. 96-97, cité par J. Clair, op.cit.

[11] Notre copie mentionne l’année 1917.

[12] « L’amour mort » qui clôt les Paysages chimériques constituera le XXIe chapitre du Voyage. Polochon. Paysages animés. Paysages chimériques sera republié en 1918 à La Renaissance du Livre.

[13] Voir La Baïonnette n° 122, 1917, dossier « Les inventeurs ».

[14] Pierre Versins, Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction, Lausanne, L’Age d’Homme, 1972 ; rééd. 1984, pp.658-659.

[15] C’est cette édition qui figure dans La bibliothèque de Marcel Duchamp, peut-être, Marc Décimo, Les Presses du Réel, 2002. Le livre de M. Décimo reproduit intégralement l’Examen critique de 1923 et mentionne par ailleurs d’autres numéros de La Baïonnette auxquels Pawlowski a collaboré.

[16] Actes Sud-Papiers, 2001.











18 mars 2007

Darius Milhaud à dada

1917 : Picabia publie en début d’année le premier numéro de 391 à Barcelone ; avec la collaboration de Beatrice Wood et Henri-Pierre Roché, Duchamp publie en avril le premier numéro de The Blind Man ; Erik Satie compose la musique du ballet Parade et est le dédicataire de la première composition de Francis Poulenc (Rhapsodie nègre) ; Darius Milhaud, alors secrétaire de Paul Claudel à Rio de Janeiro, n’a pas encore composé Le Bœuf sur le Toit. Ce sera chose faite en 1919 et sa première représentation, sous forme de ballet, aura lieu le 21 février 1920 à la Comédie des Champs-Élysées.

Le 25 juillet dernier, George Baker (UCLA, Los Angeles), parmi une foule de questions ( « What are all the “things” pasted onto the painting ? »), me posait également celle-ci : […] « What is that thing next to Auric’s teeny face ? »


Je peux enfin vous fournir la réponse, cher George Baker, puisque cette dernière m’a été délivrée lors de la lecture du Groupe des Six (Jean Roy, Le Seuil, coll. Solfèges, 1994, p. 110).



Il s’agit bien de Darius Milhaud, « à la foire de Montmartre » (circa 1920, © collection Mme Madeleine Milhaud). Prise sur un stand, cette photographie est, je pense, contemporaine de cette autre



De gauche à droite : Darius Milhaud, Raymond Radiguet, X, Germaine Tailleferre, X, Jean Cocteau, Valentine Gross, Paul Morand (accroupie : peut-être M. Meyer)

où apparaît également Milhaud. Autre indication bibliographique : Portrait(s) de Darius Milhaud (sous la direction de M. Chimènes et de C. Massip), Bibliothèque nationale de France, 1998, bel ouvrage dans lequel, page 93, on trouve ceci :




Darius Milhaud et Paul Claudel (ou inversement ?) au Brésil en 1918 © Archives Milhaud