28 juillet 2005

Une ambition démesurée

Loft où vécut Erik Satie à Arcueil © Archives de la Fondation Erik Satie

26 juillet 2005

Tes états d'âme, Erik

Satie par Poulenc (années 20)
L’absent des absents de L’Œil Cacodylate, c’est bien Erik Satie, qui fut pourtant convié par Marthe Chenal aux réjouissances de cette fin d’année 1921 au 94, rue de Courcelles. Satie adresse à Marthe Chenal, ce 31.12.1921, un pneu 1 pour l’informer qu’elle ne pourra pas compter sur lui ce soir-là. Indisposition diplomatique, réel coup de bambou ? Mystère. On imagine aisément Satie ayant accompli une petite tournée des brasseries pour fêter à l’avance le nouvel an. Mais on l’imagine tout aussi bien mood indigo, ayant décidé de passer seul cette dernière journée de l’année dans sa petite chambre d’Arcueil, après moult verres sifflés dans une grande solitude. Spécialiste de Satie, Ornella Volta a fait paraître en 2000 la Correspondance presque complète 2 du compositeur (dont est issue cette lettre de Satie à Chenal). Résultat : 1234 pages – tous appendices compris – de bonheur, identique à celui que nous offre habituellement Ornella Volta, qui signe cette année une nouvelle contribution à la revue Etant Donné Marcel Duchamp. 3 Lisons, et écoutons Satie : le second « Madame » de sa lettre fait merveilleusement écho aux grandiloquents « Madame » qu’en son temps Jarry adressait à Rachilde, dans des états proches de ceux où Satie se trouve ce 31.12.1921 : Arcueil-Cachan, le 31 décembre 1921 Madame. Je dois vous avouer que, mis « hors série » à la suite d’un séjour, cet après-midi, à la « Rotonde », je me vois obligé d’abandonner toute idée de réveillon. Mon état, sans être grave, nécessite le repos, le calme, une sorte de retraite pour que je puisse méditer à mon aise sur mon cas. Pardonnez-moi, Madame ; dites, je vous prie, mille choses de ma part au bon Picabia & veuillez voir en moi votre dévoué et domestique Erik Satie 1 Le même jour, Satie adresse un mot au Comte Etienne de Beaumont dont il décline l’invitation pour le réveillon. Les termes du refus sont proches du pneumatique qu’il adresse à Marthe Chenal : « […] je suis déjà « hors concours » […] j’ai fait […] un tour à la « Rotonde » qui m’a « monté » à la tête … »]. 2 Fayard / Imec. Voir aussi, par O. Volta, les indispensables Erik Satie, Ecrits, Champ Libre, 1977 ; La banlieue d’Erik Satie, Macadam & Cie, coll. Lumières de la Ville, 1999 et Erik Satie, Hazan, coll. Lumières, 1997.
3 « Marcel Duchamp et Erik Satie, même : post-scriptum », Etant Donné Marcel Duchamp n° 6 (à paraître).

24 juillet 2005

Ça, c’est vraiment toi

J'ai reçu, dernièrement, un mail d'Assariotakis qui me fait remarquer justement que L’Œil pourrait entretenir des rapports avec les traces iconiques des grottes préhistoriques. L’Œil, à considérer comme un "tableau de chasse" de Picabia ?

Quelques éclaircissements

J’avançais dans une note récente que le dommage subi par L’Œil Cacodylate eut peut-être lieu durant le réveillon du 31 décembre 1921 chez Marthe Chenal. Il existe cependant cette autre reproduction 1 du tableau, sur laquelle figurent toutes les contributions (y compris celle de Fatty, la photographie de Man Ray – Femme à la cigarette, circa 1920 – et les deux photographies de la tête de Duchamp) mais avant la « dégoulinade » dont j’ai parlé précédemment. Selon Michel Sanouillet 2, il y eut quatre séances de signature : - chez Picabia, à Neuilly, avant l’exposition de L’Œil Cacodylate au Salon d’Automne (du 01.11.1921 au 20.12.1921,Grand Palais) - après le Salon d’Automne, avant le réveillon Cacodylate, toujours chez Picabia - chez Marthe Chenal, le 31 décembre 1921 au cours du réveillon Cacodylate - à nouveau chez Picabia, après le réveillon Cacodylate et avant la cession du tableau au Bœuf sur le Toit (1923). Au regard de ce qui précède, deux hypothèses sont envisageables : 1) ce cliché date du 31.12.1921 et fut pris juste avant la « dégoulinade »

2) le dommage eut lieu après le réveillon Cacodylate, chez Marthe Chenal, chez Picabia ou dans les murs du Bœuf sur le Toit, ou encore au cours du transport du tableau jusqu’au Bœuf.

J’écarte l’hypothèse d’un dommage survenu en 1967 (année où le Musée National d’Art Moderne achète le tableau) car dans la plaquette d’hommage à Picabia (Francis Picabia 1879.1954) publiée en avril 1955 par la revue Orbes les dégâts sont déjà visibles. 1 In Histoire de la peinture surréaliste, Marcel Jean, avec la collaboration de Arpad Mezei, Seuil, 1959, p.34. La reproduction est de mauvaise qualité (on la retrouve notamment dans Dada surréalisme, Patrick Waldberg, Michel Sanouillet, Robert Lebel, Rive Gauche Production, 1981, p. 301) mais toutes les signatures sont au rendez-vous. 2 In Francis Picabia et 391, Eric Losfeld, 1966, p. 144, note 4.

Sarà perchè ti amo

Paul Dermée (1886-1951) et sa femme Céline Arnauld (1892-1952)

22 juillet 2005

Il suffirait de presque rien

Georges Ribemont Dessaignes et Man Ray
Près de quatre décennies après « l’âge d’or de Dada » (l’expression relève-t-elle d’un certain sens de l’histoire ou d’une convention facile à adopter ?), Georges Ribemont-Dessaignes, rédigeant Déjà jadis 1 demeurait un brin nostalgique. Déjà jadis, ou Dada blues. Le temps passe vite, et le jadis a tôt fait de se substituer au naguère. Que reste-t-il, de ces amitiés, de ces figures du passé, de ces conflits, de ces réconciliations ? Des archives conséquentes, répertoriées dans des banques de données, aux traces parfois infimes, l’histoire n’aura pas toujours traité ses figures avec les mêmes égards. Faire parler les morts, écrivait Michelet. Réveiller les fantômes, écrivait G.R.D. Que L’Œil Cacodylate ne nous donne pas le sentiment d’une « belle époque dada » : début 1922, les cartes sont en partie distribuées, Picabia s’est déjà séparé du mouvement et, bientôt, André Breton 2 (grand absent de L’Œil) s’occupera de la banque. Comment voir, aujourd’hui, L’Œil Cacodylate ? Comme un cahier de texte signé en fin d’année scolaire par les copains ou comme un registre de condoléances ? J’ai lu quelque part une touchante comparaison avec le plâtre d’un membre cassé sur lequel les amis viennent signer. L’image est belle, on songe à la fracture qui sera bientôt réduite ! Mais G.R.D. se ressaisit, il sait qu’il suffirait de presque rien pour que l’histoire, subitement, se fasse intempestive. " Oui, Dada pourrait reparaître. Mais nous, que pourrions-nous faire ? Nous aurions beau mettre des sels sous le nez de ces fantômes, ils resteraient des fantômes. Pour arriver à un résultat, il faudrait oublier tout le passé. Inventer un mouvement qui ferait exploser à sa manière l'époque actuelle. Et nous, nous serions tout de même influencés par des fantômes. Nous aurions beau, au lieu de leur faire respirer des sels, leur offrir du gardénal ou un de nos fameux tranquilli­seurs pour qu'ils demeurent sages dans leur coin, il suffirait d'un de leurs clins d'œil pour nous troubler. " 1 Paris, René Julliard, "Les Lettres Nouvelles", 1958. Republié en 1973 en 10/18.
2 « Je ne crois pas au prochain établissement d’un poncif surréaliste », écrivait Breton en 1924 dans son Manifeste. Mais le poncif est là, le surréalisme s’est, d’une certaine façon, fait rattraper. Combien de temps faudra-t-il attendre avant qu’un journaliste commente un quelconque fait divers en concluant : « C’est complètement dada » ?

19 juillet 2005

Le jeu des quatre différences

En 1964, Michel Sanouillet (qui vient de faire paraître une nouvelle édition de son indispensable étude Dada à Paris - à laquelle le nom de ce blog fait directement référence - et que je remercie ici pour son attention et ses précieux conseils) fait paraître, aux Editions L’Œil du temps, une monographie consacrée à Francis Picabia. Y figure, page 37, cette reproduction en noir et blanc de L’Œil Cacodylate (j’avançais précédemment qu’il s’agissait d’un cliché de Man Ray mais je n’en suis plus aussi certain. J’attends des précisions du Man Ray Trust en espérant par ailleurs obtenir l’autorisation de reproduire les photographies de Man Ray présentes sur ce blog) accompagnée du copyright suivant : Paris, coll. Le Bœuf sur le Toit. Sur cette reproduction, antérieure à celle à laquelle je renvoie jusqu’à présent, manque une seule signature, celle de l’acteur américain Roscoe « Fatty » Arbuckle [3]. L’exécrable Maurice Sachs * dans son très incertain Au temps du Bœuf sur le Toit, note la présence de l’acteur à Paris : 1922 (Carnet de Blaise Alias) Le gros et brave Fatty qui était venu faire le gentil sur la tombe du Soldat Inconnu s'est mis un terrible scandale sur les bras à Hollywood. Il a tué une jeune dame en la tournant sens dessus dessous pour rire et l'ayant appuyée par terre sur la tête en lui versant de la glace où les hommes ne se présentent généralement qu'avec chaleur. On va arrêter Fatty et interdire ses films dans tous les Etats-Unis. Difficile, très difficile de recueillir des informations exactes sur la présence, début 1922, de Fatty à Paris. Dans quelles conditions l’acteur a-t-il apposé sa signature ? En présence de Picabia ? Il faudrait que je puisse effectuer des recherches à la BNF, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Quoiqu’il en soit, Fatty n’aura ni violé ni tué la très belle Virginia Rappe (un patronyme pour le moins fâcheux au regard de l’accusation) en septembre 1922 (la starlette mourra en réalité d’une péritonite). L'acteur sera lavé de tout soupçon et acquitté par trois fois au terme d’un procès qui, relayé par la presse à scandale, causera sa perte professionnelle. Cette reproduction, donc, donne à voir L’Œil avant la « dégoulinade », mais également avant les deux collages représentant le crâne de Duchamp [1] tonsuré en comète et entièrement rasé. Le premier collage a été réalisé à partir d’une photo (rarement reproduite) de Man Ray (1921) et le second à partir d’un cliché que je date, sous toutes réserves, de 1919, époque où Duchamp réside à Buenos Aires et où il se fait entièrement raser la tête, comme l’atteste une lettre qu’il adresse à Jean Crotti : […] I lost my hair a while ago but an energetic treatment by Yvonne and my close-shaven cut seems to have saved it for a while.** Cette reproduction permet aussi de lire le commentaire, depuis presqu’effacé, de Man Ray : « directeur du mauvais movies » : point [4]. Six mois auparavant, en juin 1921 précisément, Man Ray signait ainsi une fameuse lettre adressé à Tristan Tzara ***. Enfin, point [2], on remarque le collage partiel d’une photographie, à présent bien connue, de Man Ray.

* Voir l’excellent texte de Thomas Clerc, Maurice Sachs le désœuvré, paru récemment aux éditions Allia.

** Voir Ephemerides on and about Marcel Duchamp and Rrose Sélavy, [09.03.1919], J. Gough-Cooper et J. Caumont, Thames and Hudson, 1993.

*** L’en-tête de cette lettre est ornée d’un photogramme représentant la « baronne » Elsa von Freytag Loringhoven, nue, le pubis rasé, prenant une pose des plus suggestives. Sans doute issu du film (perdu ou détruit) que Man Ray et Duchamp tournèrent en 1921, ce document est la seule trace de cette réalisation au cours de laquelle la « baronne » se rasa devant l’objectif des deux compères.

17 juillet 2005

Comprend qui peut

Portrait de Marcel Duchamp par Florine Stettheimer (1923)
Marcel n'est pas ce qu'on appelle / Un intellectuel / Marcel, Marcel / Quand je l'appelle / Moi je l'appelle Marcel [...] Et l'on peut voir / Dans son regard / Comme une lueur d'intelligence (Boby Lapointe)

Suzanne takes you down to her place near the river ...

Suzanne Duchamp par Man Ray (1924)

Juste une mise au point

Picabia présentant son tableau Danse de Saint-Guy (1920, détruit puis réalisé à nouveau sous le titre Tabat-Rat circa 1946-49) au Salon des Indépendants (février 1922)
A la suite de reproches avancés par un journaliste perspicace qui découvrit que Les Yeux chauds de Picabia était composé à partir d’un dessin industriel d’une turbine, Picabia crut bon de réagir rapidement à cette attaque frontale dans les colonnes de Comœdia (23 novembre 1921), dirigé alors par son ami Georges Casella (autre signataire de L’Œil Cacodylate). Après une courte digression 1 orientée sur le rôle du choix de l’artiste dans la création d’une œuvre – argument central chez Duchamp –, Picabia tient un discours plus général et laisse un petit témoignage sur L’Œil, que voici : […] Mes tableaux passent pour des œuvres peu sérieuses, parce qu'ils sont faits sans l'arrière-pensée de la spéculation et parce que j'y travaille en m'amusant comme on fait du sport. Voyez-vous, l'ennui est la pire des maladies et mon grand désespoir serait justement d'être pris au sérieux, de devenir un grand homme, un maître, un homme d'esprit que l'on invite à causer de ses décorations, de ses relations et parce qu'il fait bien dans les dîners, où les gens qui mangent beaucoup sont des gens qui n'ont rien dans le ventre ! Vous voyez ce que je veux dire, l'artiste-ministre, l'artiste-député ! Or, moi, je l'ai écrit bien souvent, je ne suis rien, je suis Francis Picabia ; Francis Picabia qui a signé l'œil cacodylate, en compagnie de beaucoup d'autres personnes qui ont même poussé l'amabilité jusqu'à inscrire une pensée sur la toile ! Cette toile a été terminée, lorsqu'il n'y a plus eu de place dessus et je trouve ce tableau très beau et très agréable à voir et d'une jolie harmonie, c'est peut-être que tous mes amis sont un peu des artistes ! On m'a dit que j'allais me compromettre et compromettre mes amis, on m'a dit aussi que ce n'était pas un tableau. J'estime qu'il n'y a rien de compromettant si, peut-être, ne pas se compromettre ; et je pense qu'un éventail couvert d'autographes ne devient pas un samovar ! C'est pourquoi mon tableau, qui est encadré, fait pour être accroché au mur et regardé, ne peut être autre chose qu'un tableau. […] 1 […] Le peintre fait un choix, puis imite son choix dont la déformation constitue l’Art ; le choix, pourquoi ne le signe-t-il pas tout simplement, au lieu de faire le singe devant ? Il y a bien assez de tableaux accumulés et la signature approbatives d’artistes, uniquement approbateurs, donnerait une nouvelle valeur aux œuvres d’art destinées au mercantilisme moderne. […]

16 juillet 2005

Marthe Chenal vue par Pierre de Massot

Portrait de Marthe Chenal par Pierre de Massot in Essai de Critique Théâtrale (1922)

Soirée VIP (première classe, accueil garanti)

Carton d'invitation au Réveillon Cacodylate du 31 décembre 1921
De son vrai nom Louise Anthelmine, Marthe Chenal naît le 28 août 1881 à Saint-Maurice dans le Val-de-Marne. Interprète, dès 1905, des rôles-phare de l’opéra, elle se fit remarquer le 11 novembre 1918 en chantant « La Marseillaise » depuis le balcon de l’Opéra Garnier, devant une foule immense et la présence de Georges Clémenceau. Incarnation de l’hymne national et du patriotisme français durant la Grande Guerre, Marthe Chenal remporte un grand succès dans les années vingt. Dans sa propriété de Villers-sur-Mer, elle reçoit le Tout-Paris des arts, de la finance et de la politique. Dans les rues de la ville, on la croise à bord de son Hispano-Suiza, elle fait sensation. En dehors du fait qu’elle fréquentait les mêmes milieux que Picabia, c’est sans doute en raison de son excentricité et de son extrême liberté qu’elle se fit remarquer par le Rastaquouère. Il est difficile d’établir avec précision quels furent les rapports qu’entretinrent Marthe Chenal et Picabia mais les archives nous livrent cependant quelques indications : dans une revue musicale qui se serait intitulée Les Yeux Chauds (titre d’une toile de Picabia de 1921), Picabia projetait pour Marthe Chenal le rôle principal et la conception du livret par Igor Stravinsky. Une rivalité avec le baron de Rotschild – qui aurait aimé offrir un théâtre à la cantatrice – fit avorter le spectacle. Fin 1921, Marthe Chenal charge Picabia d’organiser une soirée dans son hôtel particulier de la rue de Courcelles. A cette occasion, Picabia fait imprimer des cartons d’invitations destinés aux VIP plus qu’aux dadaïstes. Germaine Everling (alors compagne de Picabia et avec qui elle passa une partie de l’été 1921 chez Marthe Chenal à Villers) relate dans L’Anneau de Saturne (Fayard, 1970) qu’une centaine d’invités étaient présents ce soir-là. Elle mentionne entre autres noms ceux de Picasso, Brancusi, Vollard et Morand – qui ne signeront pas L’Œil Cacodylate. Les hôtes enfin installés, l’heure de passer à table ayant sonné, Marthe Chenal tint un petit discours (reproduit fidèlement – ou reconstitué ? – par Germaine Everling dans L’Anneau de Saturne) : Mes chers amies et amis. Je tiens d'abord à vous remercier d'avoir accepté mon invitation. Vous savez tous que le cacodylate est l'adjuvant dans lequel on puise une énergie nouvelle, nous permettant de surmonter toutes les fatigues, et vous aurez compris que ce mot de « cacodylate » n'a été employé aujourd'hui que pour symboliser la force que vous prendrez ce soir, je l'espère, au contact les uns des autres. Au fond de vous-mêmes, vous désirez un changement pour 1922 - un changement purement extérieur, naturellement, puisque le soleil est extérieur, la lune extérieure, et que les étoiles de notre cerveau ne sont visibles que pour nous seuls. Vous êtes tous ici des étoiles de première grandeur, bien que de paradis différents : paradis du hasard, paradis de l'art nouveau, paradis parisien ou paradis conservateur. A ma droite, j'ai Francis Picabia qui représente l'extrême gauche. Comme on lui demande l'extrême gauche de quoi ? il répond qu'il n'en sait rien ! A ma gauche, voici Jean Cocteau, extrême droite de la gauche - et moi-même, entre les deux, je ne suis ni de droite ni de gauche, mais je suis heureuse si j'ai pu réunir dans ce petit hôtel un groupe d’individualités militantes qui donnera au monde et à la France de 1922 la vitalité et la jeunesse que nous leur désirons ! Je bois à votre santé et je vous embrasse tous !

12 juillet 2005

Twenty years after (I'm going home)

Captain Picabia

Allons-y doucement, soyons précis

Réveillon Cacodylate chez Marthe Chenal, 1921 © Bibl. Litt. Jacques Doucet
Emprunté au Gaya (et non au Bœuf sur le Toit, qui n’ouvrit officiellement ses portes que le 10 janvier 1922) pour rejoindre, le temps d’un réveillon de fin d’année, les murs policés de l’appartement de Marthe Chenal (« Ecrire quelque chose, c’est bien : / Se taire, c’est mieux »), L’Œil Cacodylate reçut une seconde fois les signatures du cercle de Picabia. Pour l’heure, il m’est difficile d’avancer quelles sont les personnes qui signèrent la toile ce soir de réveillon. On peut cependant remarquer qu’à deux ou trois exceptions près (que je signalerai ultérieurement), les signatures féminines apparaissent en vert émeraude sur la toile tandis que les paraphes masculins apparaissent en noir. Sans doute à cause d’un verre renversé au cours d’une bousculade ou à la suite d’un mauvais geste (les plus imaginatifs d’entre nous feront surgir les rires des convives), la toile fut baptisée, à partir de son deuxième tiers vertical et sur presque toute sa hauteur, d’un liquide à coup sûr alcoolisé. Avec le temps, les signatures et les commentaires de Roland Dorgelès et de Marcel Duchamp ont quasiment disparu. Fort heureusement, un cliché en noir et blanc de Man Ray (autre signature devenue presque illisible) permet de lire la phrase, pour le moins rétive (ou anti-dada, et donc dada ?), de Dorgelès : « Non, je n’en reste pas baba / Et je jure chez Picabia / Que je n’aime pas Dada ». Quant à la phrase de Duchamp 1, parfois mal citée, elle se résume à un jeu de mots qui introduit la deuxième orthographe de son alter ego : « en 6 qu’habilla rrose Sélavy ». Calembour circonstanciel ou relatant, pour les happy few, l’arrosage de la toile ? Petite question : pour quelle raison Raymond Radiguet, tout au fond à droite de la photographie, n'a-t-il pas signé ? To be continued. 1 – Une plaquette hors commerce (Francis Picabia 1879.1954) publiée en avril 1955 par la revue Orbes proposa une reproduction contrecollée – sans doute issue du cliché de Man Ray – de l’intervention de Duchamp. Par ailleurs, sur une affichette de 1964, contemporaine de l’exposition (et du catalogue éponyme, déjà cités) « Francis Picabia, Chapeau de Paille ? 1921 », on pouvait lire, imprimé en bleu sous la reproduction en noir et blanc du Chapeau de Paille ? : « … et roses pour Fr’en 6 π [lire ici la lettre grecque "pi" ] qu’habillarrose Sélavy ». Enfin, dans une lettre postée de New York, datée du 20 janvier 1921, l'inventeur du ready-made s'adressa au Rastaquouère en ces termes : « Mâcheur Fran [cfort sau] cisse Pis qu [e quand elle s’] habilla ».

08 juillet 2005

Je t'attendrai à la porte du garage, tu paraîtras dans ta superbe auto

Picabia photographié par Man Ray en 1921 à bord de son bolide (Delage)

On ira tous au paradis

Picabia à New York (Coney Island ?), photomontage, 1917

C'est extra

Picabia dans sa Maison rose au Tremblay-sur-Mauldre (1922-1924) © Bibl. Litt. Jacques Doucet