09 avril 2007

Paul Poiret, le "pacha de Paris."

Ouvrant à nouveau L’Air de la Butte d’André Salmon (Les Editions de la Nouvelle France, coll. Chamois, 1945, pp. 163-164),


je suis tombé sur ces quelques lignes qui succinctement évoquent le couturier Paul Poiret :

« Poiret qui ouvre sa maison aux artistes de son choix, qui prépare, dans ses jardins, une fête d'esprit 1889 quand 1900 est encore si près de nous. Poiret ne refoule pas pour autant une grande pensée d'homme qui « habille l'époque ». Ayant lancé la jupe entravée après la jupe-culotte, il songe à réimposer aux clientes pâmées d'obéissance, ivres de soumission, ce singulier objet de coquetterie baroque et dont le souvenir, char­mant quand même, nous est gardé par de plaisants dessins coloriés de Grévin : la tour­nure que, assez longtemps après que nos mères ou grand-mères en firent fi, les boutiquiers de Berlin affichaient encore : Kuls de Paris. C'est un fait que Poiret à qui, non sans hési­tation, j'avais prêté un album de Grévin, y renoncera tout de suite ; il aura cependant essayé. »

« Une fête d’esprit 1889 », écrit Salmon, évoquant sans doute la plus somptueuse des soirées organisées par ce couturier qui a mené une vie fastueuse, ce qui précipita, en partie, la perte de son entreprise. J’ai conservé une copie, de mauvaise qualité, d’une photographie de cette « 1002 ème nuit de Poiret » qu’évoque [peut-être, ici] André Salmon :



« Les parfums de Poiret auraient dû promouvoir sa mode ; en les baptisant du nom de sa fille Rosine, le couturier n'atteignit pas son but », lis-je dans mes archives intitulées, on s’en doute, Au temps de l’Œil cacodylate. Problèmes d’archives, justement, car je ne retrouve pas l’auteur de ces lignes, pas plus que quelques photographies des parfums du couturier.
Autre archive relative à Poiret, cet Annuaire du luxe à Paris, issu d’un catalogue spécialisé :

Annuaire du luxe à Paris.
An 1928. P. Devambez, (1928), gr. in-4 carré, toile olive, plat sup. orné du titre en lettres noires et au palladium, contre plats et gardes de papier noir (Magnier frères), 1 f. blanc, 3 ff.n.ch. (portrait-photo, hommage, préface) 116 planches, (5) ff. (faux-titres), 1 f.n.ch. (ach. d'impr.) entièrement montés sur onglets. (M.7) Seule année parue de ce très bel annuaire qui réunit presque tous les grands noms du commerce de luxe de l'époque. <*R> Publié et conçu par Paul Poiret, il est illustré de 116 planches en noir et en couleurs par les plus grands artistes contemporains dont Bellaigue, L. Boucher, Cocteau, Mlle Colin, Crozet, La Jarrige, Deluermoz, Dufy, Dupas, Yan B. Dyl, Fau, Foujita, Gus Bofa, Édy Legrand, Libiszewski, Charles Martin, Mourgue, Sem, Touchagues, Valerio, Van Moppès, etc. <*R>Cet album offre un panorama important sur la publicité des années trente : tailleurs, chapeliers, cannes, bottiers, couturiers, lingerie, fourrures, bijoux, la table, orfèvrerie, primeurs, vins, fleurs, galeries d'exposition, photographes, pharmaciens, restaurants, hôtels, cabarets, voyages, sports, bagages, plages, chevaux, chasse, pêche, etc. <*R>Complet du frontispice : portrait-photo de Poiret par Lipnitzki protégé par une serpente imprimée. <*R>Imprimé par Devambez. Bel exemplaire, rare.

Paul Poiret par Marie Alix, 1925
Enfin, ce dessin de Jean Cocteau (1928), intitulé « Poiret s’éloigne, Chanel arrive », qui dit assez ce passage de mode auquel le talent et les frasques de Poiret ne purent résister (les traits de Cocteau sont ici terriblement justes) :



A lire, donc, de Paul Poiret, En habillant l'époque (première édition : Grasset 1930)



Sans oublier : Revenez-y (Gallimard, 1932) .



Paul Poiret dans ses ateliers, ca. 1920

Et, surtout, cette notice de Claire Papon publiée à l’occasion de la vente Paul Poiret à Drouot :

« Homme véritablement solaire, "King of fashion"... En ce début de XXe siècle, des deux côtés de l’Atlantique, Paul Poiret (1879-1944) fait l’unanimité. On se l’arrache. S’il rayonne sur la mode parisienne et la décoration - il crée en 1911 des ateliers dédiés aux arts décoratifs et une maison de parfums -, Poiret règne également sur la vie mondaine. Sans cesse à la recherche de nouvelles inspirations, l’homme a toutes les audaces pour associer matières originales, imaginer de nouveaux rapports de couleurs et, surtout, simplifier formes et coupes. Tout l’inspire, du Directoire au pays du Soleil-Levant, en passant par la Perse, la Russie, le Maroc ou la Chine. "Je ne prêche pas l’économie, je ne vous parle que d’élégance", déclare-t-il. Comment lui résister ? Même son comptable s’incline quand il lui demande 100 000 F, tout en lui suggérant de ne pas s’y habituer... Mais Poiret aime tellement la fête ! L’une d’elles, la "Mille et deuxième nuit", restera dans les mémoires. Il y a du monde - et du plus beau - en cette nuit du 24 juin 1911 dans le jardin de son hôtel particulier de l’avenue d’Antin : les peintres Van Dongen et Dunoyer de Segonzac, le directeur de magazines de mode Lucien Vogel, le dandy et homme de lettres Boni de Castellane... Des orchestres persans se font entendre dans les bosquets, des perroquets colorent les arbres, tapis et coussins couvrent le sol, tandis que des conteurs et des acrobates transportent les invités dans un autre monde. Bientôt, le sultan Paul Poiret fait évader sa favorite - Denise Poiret, son épouse - de sa cage dorée... L’orientalisme n’est-il pas à son apogée ? Le 20 juin 1912, une nuit, peut-être plus folle encore, réunit à nouveau le Tout-Paris. C’est "La fête de Bacchus". Poiret loue et aménage pour l’occasion, à La Celle-Saint-Cloud, le pavillon du Butard, élevé par l’architecte Gabriel pour Louis XV, en 1750. Quittant les allées de Versailles, dieux, déesses, nymphes et naïades se donnent ici rendez-vous. Le couturier les accueille en Jupiter. Trois cents invités engloutissent 900 litres de champagne et un souper porté sur la tête par vingt maîtres d’hôtel... Isadora Duncan clôt les festivités, s’élançant aux premières heures de l’aube dans une danse avec Jupiter sur une aria de Bach ! En 1913, au retour des États-Unis, où le couturier a fait un triomphe, le tourbillon continue. Chaque année, il célèbre dans les jardins du pavillon d’Antin « La fête des rois » et assigne à chaque invité son royaume. Au lendemain du cauchemar de la Grande Guerre, en 1919, il se lance dans de nouvelles réjouissances et fait ériger, dans son jardin de l’avenue d’Antin, L’Oasis, un dôme gonflable en toile de dirigeable. Celui-ci devient l’écrin de somptueuses fêtes, "Fond de la mer", "La fête de l’Amérique" ou "Les nouveaux riches"... Dans cette dernière, des huîtres sont servies qui contiennent des colliers de perles. Mais l’oasis se transforme bientôt en désert. Les ennuis financiers s’accumulent qui mènent, lentement mais sûrement, à partir de 1920, au désastre. Il faut peu de temps pour devenir l’homme d’une époque révolue. »

Claire Papon, in Gazette de l’Hôtel Drouot, à l’occasion de la vente Paul Poiret, 10 et 11 mai 2005.