20 novembre 2008

Qu'on en finisse

Encore plus fort que la vente Breton qui fit tant de bruit en son temps, celle de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé (le début des enchères est prévu pour février 2009) annonce déjà la couleur : 700 œuvres, et des estimations allant de 300 à 500 millions d’euros pour l’ensemble. Répondront à l’appel : Cézanne, Mondrian, Léger, Picasso, Brancusi, Ensor, mais aussi Matisse et Duchamp. Du côté des maîtres anciens : Géricault, Franz Hals, Gainsborough, Ingres… Belle Haleine, Eau de voilette (Duchamp, 1921) qu’on a pu voir à l’exposition Dada à Beaubourg (fin 2005 – début 2006), sera sans doute adjugé pour un montant fort déraisonnable, c’est-à-dire proche de celui pour lequel la pièce fut assurée au moment de l’exposition (environ 1 million d’euros). Toujours plus, toujours plus d’argent, toujours et encore plus de pouvoir, jusqu’à faire vaciller les repères les plus élémentaires, ai-je répondu à mon ami F., qui n’y va pas par quatre chemins et qui est à l’origine de ce post pour m’avoir communiqué l’information. F. me fait remarquer : « Imagine le nombre de p... ayant porté du YSL et le nombre de chèques signés, toutes ces cartes bleues, tout ce pognon dépensé […] A chaque fois que je croise une tête équipée de ces lunettes monogrammées, à chaque fois que je suis littéralement agressé par ces dérisoires accessoires de l’industrie du luxe, j’ai vraiment envie de gerber […] Tout ça va très mal se terminer, tôt ou tard – à la Mad Max. » Je partage pleinement les prévisions pour le moins pessimistes de mon ami F., à qui j’ai répondu ceci : " Patience. Le XXIème siècle sera sans doute le dernier, mais n'oublie pas que le produit de la vente sera destiné à la fondation Yves Saint Laurent - Pierre Bergé ainsi qu'à la recherche médicale."

17 novembre 2008

Spleen à Bex-les-Bains (Suisse), avec chassés-croisés

Une femme dans une femme. F. Picabia, mine de plomb et encre de Chine sur papier vélin à en-tête imprimé du Grand Hôtel des Salines de Bex-les-Bains.
Estimée entre 8000 € et 10000 €, la pièce fut adjugée à 15600 € le 23 mai 2006 lors de la vente Christie’s intitulée « Bibliothèque d’un grand amateur européen ». Picabia, marié à Gabrielle Buffet * (qu’il rencontre en 1908) depuis le 27 janvier 1909, rencontre Germaine Everling fin 1917. Fin février 1918, accompagné de sa femme Gabrielle, Picabia se rend à Lausanne, via Gstaad, pour y suivre une cure auprès du neurologue Brunnschweiler. Germaine Everling rejoint Picabia fin février 1918. Gabrielle et Germaine se sont-elles croisées durant la cure de Picabia ? Ce n’est pas sûr. Mais ce qui est certain, c’est que les deux femmes connaissaient l’existence l’une de l’autre à ce moment-là. Début avril 1918 (à Gstaad, où Gabrielle a loué un chalet), Picabia écrit les derniers mots de son recueil Poèmes et dessins de la fille née sans mère. Rentrée à Paris à la mi-mai 1918, Germaine Everling rejoint à nouveau Picabia et tous deux partent pour Bex, d’où trois ans plus tard seront réalisés ces deux dessins qui lui seront destinés. La notice du catalogue Christie’s ne fournit pas de date précise concernant la réalisation de ce dessin. Le zona ophtalmique de Picabia ayant été diagnostiqué en mars 1921, il semblerait que l’œuvre en question puisse être datée de cette époque (sous toutes réserves).

Francis Picabia et Germaine Everling (1921)
* En 1912, Gabrielle Buffet fit sérieusement tourner la tête de Marcel Duchamp. [Souvenons-nous qu’en juin de la même année, Picabia, Gabrielle et Marcel assistèrent, Théâtre Antoine, aux Impressions d’Afrique de Raymond Roussel]. Ce même été 1912 (depuis Paris ? depuis Munich ?), Marcel écrivit deux lettres à Gabrielle qui se trouvait alors en villégiature à Hythe (Angleterre). La suite nous est donnée par Judith Housez [Marcel Duchamp, biographie. Grasset, Paris, 2006, pp. 117-118] : « Gabrielle Buffet-Picabia, qui passait la suite de son été à Etival, un petit village du Jura, indiqua à Marcel dans une de ses lettres le jour où elle se trouverait de passage à la gare d'Andelot, seule, lors de son voyage de retour à Paris. A sa grande surprise, elle trouva Marcel sur le quai à l'heure dite : il venait d'arriver de Munich dans le seul but de la voir. Ils commencèrent à parler, laissèrent partir les trains qu'ils devaient prendre, puis restèrent là toute la nuit, assis sur le banc de la salle d'attente, à parler et à se taire, sans se prendre la main, sans s'embrasser. “ Avant tout, je dois faire très attention à ce que je lui dis, songeait Gabrielle, car il comprend les choses d'une façon alarmante, dans leur sens absolu. ”, Il avait parcouru plus de mille kilomètres en train pour ces quelques heures avec elle. Il était ivre de désir pour cette femme, sensible à sa beauté et à son intelligence, mais ne tenta rien, et garda une distance respectueuse sur le banc. Pour un jeune homme conventionnel de vingt-cinq ans, tomber amoureux d'une femme mariée était une expérience terrible. Quelques années plus tard paraîtrait Le Diable au corps, mais entre-temps, le chaos de la guerre aurait semé le doute sur toutes les valeurs, y compris celles de la famille et de la fidélité. A propos de Marcel Duchamp, Gabrielle Buffet-Picabia n'hésiterait pas à déclarer “ je pense que c'est moi qui l'ai émancipé de sa famille ”. Elle avait été son premier grand amour. »

11 novembre 2008

Marcel chez Ubu

Marcel Duchamp devant Portrait de M. Duchamp père (1910)
L'indispensable site ubu voit ses archives s'étoffer régulièrement. Pour preuve, le hard to find Jeu d'échecs avec Marcel Duchamp (Jean-Marie Drot, 1963) y est désormais disponible. Au détour, on n'oubliera pas de consulter les deux séminaires de Roland Barthes (Comment vivre ensemble et Le Neutre).

09 novembre 2008

Marcel s'explique

Marcel Duchamp à Cadaqués (circa 1960)
Marcel Duchamp, entretiens avec Georges Charbonnier (1960 - 1961)

Radiguet critique littéraire

Raymond Radiguet et Jean Cocteau sur la plage du Lavandou (1922)
Ses colères étaient rares mais terribles. Il devenait pâle comme un mort. Jean Hugo et Georges Auric doivent se souvenir d'une soirée au bord du bassin d'Arcachon, où nous lisions tous autour d'une table de cuisine. J'eus la maladresse de dire que Moréas , ce n'était pas si mal. Je lisais ses stances. Radiguet se leva, m'arracha le livre, traversa la plage, le jeta dans l'eau et revint s'asseoir avec une figure de meurtrier, inoubliable. Jean Cocteau, "De Raymond Radiguet" in La Difficulté d'être [1947]. Le Livre de Poche, coll. biblio, p. 28.

Jean Cocteau - La Toison d'Or (1929) Jean Cocteau (voix), Vance Lowrey (banjo), Dan Parrish (piano), Dave Peyton (percussions), James Shaw (clarinette) et Crickett Smith (trompette)

06 novembre 2008

Lectures

L’Alamblog du Préfet maritime (Eric Dussert) proposait, dans son billet du 27 écoulé, quelques mots d’introduction à l’exposition Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive. Loin de se contenter de la simple recension, la pertinence du Préfet maritime donnait à lire, par la même occasion, un non moins pertinent texte de Marc Dachy, initialement paru dans la revue Critique (n° 404) en janvier 1981 sous le titre « Une avant-garde ridicule » et auquel on se reportera plus qu’ utilement. On regrettera de ne plus pouvoir trouver, ni le somptueux volume de Marc Dachy paru chez Skira (Journal du Mouvement Dada, 1989), ni, du même auteur, Dada & les dadaïsmes paru en Folio essais (Gallimard) en 1994. Traductrice, notamment de Georg Grosz de Günther Anders (Paris, Allia, 2005), Catherine Wermester vient de publier, chez le même éditeur,

Grosz, l’homme le plus triste d’Europe, une courte étude pour le moins efficace et qui m’a retenu bien après le temps de sa lecture. Viser juste son objet, ai-je pensé en terminant ce livre.

Enfin, puisque Thomas Bernhard a définitivement cessé de publier, je signale

Automne, liberté – Un nocturne de Werner Kofler, traduit de l’allemand (Autriche), présenté par Bernard Banoun et paru aux éditions Absalon, collection « K. 620 », Nancy, 2008. Depuis Le dîner de moules de Birgit Vanderbeke (traduit de l’allemand par Claire de Oliveira, Stock, coll. Nouveau Cabinet Cosmopolite, Paris, 1995) et Le dégoût – Thomas Bernhard à San Salvador de Horacio Castellanos Moya (traduit de l’espagnol par Robert Amutio, Les Allusifs, 2003) on n’avait si bien imité et/ou évoqué la prose de l’hermite autrichien.