27 mai 2009

"Par sa constante mutabilité, Dada a pu être envisagé depuis des angles opposés." Guillermo de Torre

Publié en 1925 – l'année où paraît également

La déshumanisation de l'art de José Ortega y Gasset – sous le titre Literaturas europeas de vanguardia (Madrid, Caro Raggio ed.), l'ouvrage majeur de Guillermo de Torre (1900-1971) n'a jamais, nous dit Eddie Breuil, fait l'objet d'une traduction intégrale en français. Intitulé

Ultra-Dada entre deux avant-gardes, Eddie Breuil vient cependant de faire paraître un chapitre de cette indispensable référence : « Le mouvement Dada » suivi notamment de « Manifestes ultraïstes ». Le contenu est d'autant plus alléchant qu'il a valeur de document et entre de ce fait dans l'histoire critique du mouvement :

« À [cette guerre interne] fait écho l'ouvrage de Pierre de Massot, De Mallarmé à 391, inspiré avec malveillance par Francis Picabia, qui tend à fausser, dans le chapitre consacré au Dadaïsme, la vraie histoire de ce mouvement, en établissant les bases d'une mystification qui n'a pas abouti, et contre laquelle, par tous les moyens, nous devons protester. Selon Massot, les véritables pères du Dadaïsme sont Picabia et Duchamp qui ont démarré cette tendance à New York en 1914, indépendamment de Tzara, qui lui a donné son nom, et qu'ils ont rencontré à Zurich en 1918 ».

Eddie Breuil précise à la suite de cette note de Guillermo de Torre : « Duchamp n'a pas connu Tzara à Zurich, mais à Paris ». (1) Si la « malveillance » de Picabia prêtée par Guillermo de Torre reste à relativiser (en 1925, les partis-pris des clans et des réseaux étaient encore actifs, on le voit), l'engagement de Pierre de Masssot auprès de Picabia et de Duchamp s'apparentait en effet à ce qu'on pourrait appeler un militantisme amical : « À New York, en 1914, durant de longues solitudes, puis dans le salon de Picabia où venaient chaque nuit de nouveaux inconnus qui ne se présentaient pas au maître de maison (Marconi n'y passa-t-il pas une veillée sans que le peintre s'en doutât ?), bercés par les harmonies mélancoliques d'un gramophone et parce qu'un état de neurasthénie aigüe les prédisposait à ce dégoût, souvent raisonnable, Francis Picabia et Marcel Duchamp inventèrent le dadaïsme. » Dans le même article (2), écrit « à la lueur de nos cigarettes tonkinoises », c'est avec un souvenir attristé (novembre 1921 !) que De Massot évoque Dada (jadis et naguère se disputant la primauté de son anamnèse, pourrait-on dire en le pastichant rapidement), en concluant sur une note dont la mélancolie devait certainement quelque chose aux volutes opiacées qu'il partageait parfois avec Mireille Havet (3) : « Elle est finie, l'histoire promise, mes bons amis, et le souvenir de Dada se confond, dans le crépuscule, avec la cendre de nos cigarettes parfumées. »

1) Guillermo de Torre, Ultra-Dada entre deux avant-gardes, édition établie par Eddie Breuil, Les Presses du Réel, 2009, p. 75.

2) Pierre de Massot, « Dada », article paru dans le numéro 16 (novembre 1921) de la revue Ça Ira !, pp. 106-107.

(3) Lire l'indispensable biographie Mireille Havet. L'enfant terrible d'Emmanuelle Retaillaud-Bajac (Grasset, 2008) et le journal de Mireille Havet en cours de publication chez Claire Paulhan (3 tomes parus à ce jour).