20 juillet 2006

Cette robe vous va à merveille, mais une goutte de mon parfum sur son ourlet vous rendra irrésistible (Paul Poiret)

Ce soir, Place du Change, en feuilletant avec difficulté (pour cause de festival d’Avignon) les 400 pages de la "double monographie" de John Russell, Matisse père & fils, j’ai repensé à George Baker et à sa précieuse indication. Ezra Pound, en effet, et non Paul Poiret, bien que ce dernier ait été signalé comme signataire de L’Œil cacodylate par Germaine Everling Picabia dans L’Anneau de Saturne (Fayard, 1970) :
[...]

La confusion de certains biographes provient sans doute du fait (parmi d’autres approximations) que Germaine Everling mentionne Paul Poiret comme signataire, à la page 140 de son Anneau de Saturne : Le couturier de cette belle époque, proche de Picabia, fut peut-être l’un des convives du « réveillon cacodylate ». Après avoir minutieusement balayé une reproduction presque grandeur nature de L’Œil cacodylate, je n’ai trouvé aucune trace de Paul Poiret, que je préfère inclure malgré tout dans la planète dada de cette fin 1921. Par ailleurs, le catalogue * de l’exposition Picabia Chapeau de Paille ? (Galerie Louis Carré, Paris, 1964) ne mentionne pas Paul Poiret.

Voici donc la signature d’Ezra Pound :

Le « Z » en forme de « 2 » ne fait aucun doute. J’ai pu le retrouver, sous la même forme, dans l’un des rares autographes de l’auteur des Cantos actuellement disponibles sur internet :

En ce qui concerne le couturier qui délivra la femme du corset (comme Dada se départit alors de toute forme de corset ?), je ne résiste pas à l’envie de proposer ici cet extrait :

INSTITUT DE FRANCE ACADEMIE DES BEAUX-ARTS NOTICE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX DE M. René CLEMENT(1913-1996) par M. Gérard OURY Lue à l’occasion de son installation comme membre de la Section des Créations artistiques dans le Cinéma et l'Audiovisuel SEANCE DU MERCREDI 1er MARS 2000

Réponse improvisée par Monsieur Gérard Oury au texte d'accueil de Monsieur Pierre Schœndœrffer, et avant qu'il ne passe la parole à Monsieur Jean-Paul Belmondo afin qu'il lise à sa place l'éloge de Monsieur René Clément, son prédécesseur à l'Académie des Beaux-Arts.

[…]

Ma mère Marcelle Oury m'a non seulement donné la vie, mais elle me l'a sauvée plusieurs fois, durant les heures noires de l'Occupation, par sa lucidité, sa clairvoyance, son esprit de décision. Comment donc à vingt ans aurions-nous pu imaginer les horreurs qui se préparaient dans notre beau pays, avec la complicité active, la collaboration honteuse du Gouvernement de Vichy ? Mariée très jeune au grand violoniste Serge Tennenbaum, elle en avait divorcé rapidement et tout de suite le problème s'était posé : « Comment vais-je gagner ma vie, celle de ma mère et de mon petit garçon ? » Le temps n'était pas à la parité homme-femme, mais avec un instinct très sûr, elle se trouva rapidement dans la mouvance du grand couturier Paul Poiret, l'homme qui avait libéré le corps des femmes de leur prison : corsets, baleines, balconnets, lacets. Il polarisait autour de lui une pléïade d'artistes dont ma mère fit la connaissance en publiant avec Poiret « L'annuaire du luxe de Paris ». Y participèrent André Derain, Dunoyer de Segonzac, Foujita, Raoul Dufy. Poiret avait demandé à ce dernier de réaliser pour lui les superbes aquarelles qu'il envoyait à Lyon chez le soyeux Bianchini Ferrier, lequel lui retournait d'admirables tissus, et les parisiennes se promenaient ainsi, suprêmement élégantes, dans des Raoul Dufy. C'est ainsi que ma mère va devenir amie pour la vie de Raoul Dufy et de son épouse Emilienne. Nous sommes en plein dans les années folles, et je devais avoir cinq ou six ans lorsqu'eut lieu à Paris l'exposition des Arts Décoratifs. Paul Poiret avait amarré aux quais de Seine trois péniches sublimement décorées, « Amours, Délices et Orgue ». Il y donnait des fêtes somptueuses où l'on m'amenait malgré mon jeune âge. Comme tous les enfants, j'adorais me coucher tard. Feux d'artifices, cadeaux, on passait d'une péniche à l'autre et les mannequins de Poiret et leurs cavaliers dansaient le blackbottom, le charleston, au son d'orchestres « vrai ou faussement nègres ». J'en demeure encore aujourd'hui ébloui. Au printemps suivant nous partîmes pour Deauville par la route de quarante sous dans l'HispanoSuiza écossaise de Paul Poiret. Cette immense décapotable était peinte à la manière d'un plaid, et le moins qu'on puisse dire, est qu'elle ne passait pas inaperçue. Ses occupants non plus. Outre Paul Poiret et son chauffeur en livrée blanche, nous voyagions avec Foujita et sa resplendissante femme Yuki, plus tard l'épouse puis la veuve de Robert Desnos. Lui frange épaisse, grosse lunette d'écaille, petite moustache et boucle d'oreille, elle si belle que même à mon âge j'en demeurais bouche bée.Tout de même, la route de quarante sous j'en avais un peu peur car quelqu'un avait raconté devant moi qu'un crime abominable y avait été commis pour la somme de quarante sous, c'est à dire deux francs. Quelques années plus tard, je devais avoir une dizaine d'années, à la belle saison ma mère m'emmenait à la Coupole. Oh non pas celle-ci, celle de l'Institut, le café la Coupole boulevard du Monparnasse. A l'heure de l'apéritif, alors que les arbres bourgeonnaient et qu'il faisait nuit très tard, les ateliers de la rue Campagne-Première déversaient leur plein d'artistes vers le Select, le Dôme, la Coupole. Certains sentaient encore l'essence de térébenthine, d'autres avaient gardé leurs blouses tachées aux couleurs des tableaux qu'ils avaient peints dans la journée. Les tables se faisaient, se défaisaient, ils se chamaillaient, exposaient leur point de vue sur l'art, buvaient sec, moi je sirotais ma grenadine.

et cette photographie d’une des fameuses péniches de Paul Poiret :

Je reviendrai prochainement sur Poiret et Pound, pour le simple plaisir de proposer quelques documents d'une époque dont nous nous éloignons chaque jour un peu plus.

* Cat. établi par Francois Wehrlin, de l’exp. de la Galerie Louis Carré, préf. de Georges Auric, 28 X 22, 36 p., nov. 1964. [Épreuves multigr., non éditées.] → bibliographie de Michel Sanouillet, sous le numéro 865, Dada à Paris, Flammarion, Paris, 1993.