26 décembre 2006

Dodo & Co, de Zayas & Cie

Les premières lignes de L’Anneau de Saturne de Germaine Everling évoquent « les Zayas », c’est-à-dire Georges de Zayas et Dodo Doilac, deux signataires de L’Œil Cacodylate sur lesquels je n’ai recueilli que peu d’informations jusqu’à présent. Dodo Doilac ["Je voudrais mettre quelque chose"]

est citée à plusieurs reprises au début des « mémoires » de Germaine Everling. Si Marius de Zayas est resté le plus cité des deux frères, Georges mérite bien une notule, histoire de remettre les pendules à l’heure. Ce n’est pas Marius de Zayas (1880 Veracruz, Mexico –1961 New York),

Marius de Zayas via http://www.ieeff.org/ny.html

comme l’indiquent erronément nombre de notices, qui tondit une comète sur le crâne de Marcel Duchamp,

"Il faut mais je ne peux pas", Georges de Zayas sur L’Œil Cacodylate

Marcel Duchamp tonsuré par Georges de Zayas © Archives photographiques Marcel Duchamp
mais bien Georges, qui fut le compagnon de Dodo Doilac, danseuse aux Folies Bergère

Les Folies Bergère, début des années vingt

Marinett (danseuse aux Folies Bergère, 1905)

dans les années vingt. Comme son frère Marius, Georges fut caricaturiste, dans une mesure qui reste à définir tant les traces demeurent menues. Le catalogue Picabia (CNAC Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Paris, 1976, p. 19) reproduit un dessin de Georges de Zayas

Francis Picabia par Georges de Zayas circa 1923

tandis que l’imposant et non moins introuvable Picabia de Maria Lluïsa Borràs (Albin Michel, Paris, 1985, p. 30) propose un rare cliché sur lequel sont présents Marius de Zayas et Francis Picabia,

« coloriant à la main des exemplaires de la revue 291 à New York ». Quel audacieux éditeur proposera un jour en fac-similé l’intégralité les numéros de 291,

Couverture du premier numéro de 291 par Marius de Zayas, mars 1915

comme le firent Michel Sanouillet pour 391 et Jean-Michel Place pour Littérature ?

04 décembre 2006

La Piste aux Etoiles

Evocations des "dîners du samedis", au fil de la lecture de Raymond Radiguet ou la jeunesse contredite - 1903 - 1923 de Marie-Christine Movilliat, - éditions Bibliophane-Daniel Radford "1918-1919 : Au mois d'octobre, c'est sous l'impulsion du poète qu'ont commencé ces dîners hebdomadaires, et tous ceux qu'il serre autour de lui - ils seront de plus en plus nombreux - en vanteront longtemps les plaisirs, la bonne humeur. Chaque semaine, on se réjouit du prochain samedi. Manquer un samedi est une idée que personne n'envisage. Du moins au début. Parlant de ces dîners qui durèrent deux ans, lors d'une conférence au Collège de France en 1923, Jean Cocteau dit qu'ils furent abandonnés parce qu'ils devenaient une véritable institution, voire une obligation, et que lui-même en venait à être vexé par une défection comme jadis son grand-père quand quelqu'un manquait une réunion de famille. Reste que son prestige rassemble, dès le premier hiver, des personnalités fort différentes qui sans lui ne se seraient sans doute jamais rencontrées. Les premières rencontres ont lieu chez Darius Milhaud, qui habite à Montmartre avec Héloïse, sa vieille bonne venue d'Aix, un petit appartement tout tapissé de vert, au 5 rue Gaillard, dans le haut de la rue Blanche. On prend des cocktails, particulièrement redoutables le soir où Paul Morand les compose à base désinfectant, quand ce n'est pas Lucien Daudet qui a le shaker mauvais... Ensuite, pique-nique sur place, ou dîner au Petit Bessonneau, un bistrot de Montmartre (alors Max Jacob est de la fête) à la portée de toutes les bourses. Personne, sauf Poulenc, n'étant bien riche, chacun paie son écot. (...) On bavarde en confiance. Les conversations les moins concertées de cette pléiade brillante finissent immanquablement sous la houlette de son astre majeur, Jean Cocteau. Il rode sur les convives comme sur un brouillon ces bulles sonores qui vont devenir livres, articles, répliques d'acteurs, poèmes. Pas le moindre ragot, pas la moindre vulgarité, rien n'est dit qu'il ne pourrait écrire. Après dîner, on va à la foire de Montmartre sur le boulevard Clichy, ou au cirque Médrano : on manque rarement l'entrée des trois Fratellini, clowns, comédiens, acrobates, musiciens, dignes de la commedia dell'arte. La soirée se termine dans l'appartement de l'un ou l'autre par de la poésie, de la musique ou quelque facétie. Mais le besoin de faire, d'agir, de créer, survit à tous les surmenages mondains et le temps des samedistes ne se passe pas tout entier en festivités. Les musiciens composent, Lucien Daudet ombre des portraits à la mine de plomb, et tient son journal, Irène Lagut peint ses écuyères et ses chevaux de cirque, Jean Hugo grave des paysages sur linoléum, Valentine dessine, Jean Cocteau travaille à une pantomime, Paul Morand rédige ses nouvelles, Radiguet écrit un peu, lit, observe beaucoup. Chacun est emballé par chacun. "Nous sommes SAM, proclamera ouvertement le premier numéro du Coq, organe de presse du groupe : Société d'Admiration Mutuelle." L'amour du théâtre, le souvenir de Parade ont donné à Cocteau l'envie de se consacrer de nouveau à la scène et d'écrire une vraie farce. Quand le compositeur (Darius Milhaud) comprit ce que voulait faire son ami, il songea à un titre, celui d'une rengaine entendue au carnaval de Rio, O boi no telhado, "Le Bœuf sur le Toit". Depuis la répétition générale du spectacle-concert (21 février 1920),les dîners du samedi se font rue Pierre-Demours. Jean Cocteau y a découvert un lieu clandestin tenu par un ancien forçat, René de Amouretti : deux pièces sans aucun meuble où l'on sert des boissons et une vague nourriture. Assis sur la moquette, on écoute quelques musiciens jouer de la guitare hawaïenne, un instrument tout récemment apparu en France. C'est là que le 6 mars 1920 naît l'idée de fonder un journal qui constituerait une réponse directe de Cocteau à l'ostracisme perpétré contre lui par les revues dadaïstes .Le "Coq" s'annonce résolument anti-dada. (Il) apparaît généralement comme l'organe d'expression du Groupe des Six. Il est vrai que, décidés à ne pas avouer d'esthétique commune, les Six ont cependant signé de leurs six noms les fascicules du "Coq". Janvier 1921. Les dîners du samedi sont maintenant connus et le clan s'augmente, non seulement d'artistes, mais de curieux. Bien souvent, des invités de passage élargissent le cercle, des étrangers surtout. L'intimité s'en ressent. la bande fréquente un restaurant après l'autre sans découvrir l'endroit idéal. On est un peu las du cirque, cette "école de travail, de force discrète, de grâce utile" où, depuis le bœuf sur le toit" on continuait à aller chercher une leçon d'équilibre, et les samedis se terminent à présent porte Maillot, chez la danseuse Caryathis, la future Elise Jouhandeau. Pour elle, bientôt, Satie écrira "la belle Excentrique". Quelques temps auparavant, Louis Moysès, un garçon qui végétait dans les Ardennes (...) avait décidé de tenter sa chance dans la capitale où il souhaitait monter une affaire. Au hasard de ses recherches, il tomba sur un bar, au 17 de la rue Duphot, le "Gaya". On y servait du vin espagnol. Le local était minuscule et ses murs recouverts de céramiques bleu ciel lui valaient de la part de certains habitués le gracieux surnom de "bar-lavabo". Séduit malgré tout, Moysès chercha une idée pour lancer l'endroit. (...) Il engagea Jean Wiener pour tenir le piano. Aucun choix n'aurait pu être meilleur. Ce jeune homme très doué, aimant le jazz autant que les classiques, "interprétait de la musique syncopée avec une aisance aérienne" (citation de Milhaud). Milhaud, son ancien condisciple au Conservatoire, ayant souvent exprimé l'envie d'un lieu où ses amis et lui seraient chez eux, il lui proposa alors de transporter leurs réunions hebdomadaires au "Gaya". Et Darius de courir aussitôt annoncer à Jean Cocteau : "Je t'apporte un bar !" Dans la chambre de la rue d'Anjou, ce brave Moysès allait gagner instantanément l'amitié du poète en demandant, le doigt pointé vers la photographie de Rimbaud : "N'ai-je pas déjà vu ce visage-là quelque part ?" On décida de l'inauguration du bar. "En cinq ou six coups de téléphone, Cocteau mobilisa tout Paris" (Jean Wiener). Avec le piano, il fallait un matériel de drummer. Stravinsky, qui composait "Noces" prêta une caisse et une timbale sur lesquelles, les nuits suivantes, Cocteau s'essaierait à reproduire la "catastrophe apprivoisée"" - le jazz - qui l'avait tellement frappé chez le premier orchestre négro-américain entendu en 1918 au casino de Paris. Peu avant l'ouverture, Vance Lowry se présenta. C'était un Noir charmant et gai parlant très bien le français avec un délicieux accent américain, joueur de saxophone et de banjo appelé à devenir un des grands personnages des premiers temps du Gaya. " http://leonicat.club.fr/cocteau/article03.html
Les frères Fratellinis (détail de L'Œil cacodylate - carte postale ?)

Ricordi di 3 Fratel / Fratellinis. [27.11.1921]

Le cirque Medrano, boulevard de Rochechouart [1915-1920]

Les Fratellinis par Fernand Léger

28 novembre 2006

L'été indien

Sur une plage du Midi en 1925, de gauche à droite : Francis Picabia, Germaine Everling, Michel Corlin, Suzanne Duchamp, Pablo Picasso, Jean Crotti. In J.-P. Crespelle, Montparnasse vivant, Paris, Hachette, 1962, p. 251.

Sinon très bon exemplaire

Eric Dussert, cité précédemment, continue de m'épater, en reproduisant ceci :

http://www.lekti-ecriture.com/blogs/alamblog/index.php

Je ne connaissais la référence de ce livre de Marie de la Hire que par les catalogues des librairies spécialisées. Voici enfin une image, que j'emprunte à Eric Dussert, critique au Matricule des Anges, bibliographe et, forcément, amoureux des livres. Je ne résiste pas à l'envie de citer cette annonce, parue sur la toile il y a déjà de nombreux mois : Les crépuscules au jardin. LA HIRE (Marie de). Paris, Sansot, R. Chiberre, 1924. Grand in-8. 61-(3) pages. Broché, couverture illustrée, imprimée et rempliée. Description : Edition originale. Tirage limité à 500 exemplaires numérotés sur papier de Montval pur fil, fabriqué spécialement pour ce livre par Pierre Térouanne et Gaspard-Maillol. Notre exemplaire est enrichi d'un bel envoi de l'auteur à Berthe Julien. Premier tirage des 21 superbes bois gravés de Gaspard-MAILLOL et Marie de LA HIRE, dont un en couverture et 20 in-texte. On joint : ARBELLOT (Simon), Marie de La Hire peintre et poète. Plaquette de 12 pages de l'exposition Marie de La Hire chez Danthon (Paris), du 17 au 31 janvier 1925. 9 reproductions. Infime restauration de scotch au dos, en pied. Sinon très bon exemplaire. De toute rareté. Monod, 6766. Proposé au prix du salaire minimum de croissance, je veux bien croire que cet exemplaire, malgré son petit défaut, a de quoi ravir tout acquéreur passionné de vieux papiers. Eric Dussert, fin limier, nous apprend que Marie de la Hire fut l'épouse d'Adolphe-Ferdinand Célestin d’Espie de La Hire, cité par Pierre Versins à maintes reprises dans son Encyclopédie de l'utopie, des voyages extraordinaires et de la science fiction, Lausanne, L'Age d'Homme, 1972 -(2ème édition, 1984) qui fait encore rêver :

15 novembre 2006

En freinant bien pour ne pas te dépasser

Tout le monde ont signé, je signe. Y. Moreau (garagiste de Francis Picabia)

Picabia par © Man Ray (Cannes, 1924)

Pierre de Massot dans l'automobile de Francis Picabia [années 20]

Tristan Tzara et Francis Picabia [années 20]

Francis Picabia tenant à la main un exemplaire du Pilahou-Tibaou.

"Une Passion" (in Francis Picabia, Catalogue du Centre National d'Art et de Culture Georges Pompidou / Musée National d'Art Moderne, Paris, 1976, p. 34)

"Picabia a eu 127 automobiles. Et chacune d'elles a été une passion, objet d'un désir impatient, machine séduisante et à séduire, qui donne le plaisir et reçoit la caresse. Une histoire d'amour : il fait venir un jour d'Amérique une Mercer, la fait chercher au Havre, demandant qu'à chaque étape du voyage jusqu'à Paris on lui donne par télégramme des nouvelles de l'objet convoité". Hélène Seckel, ibid, p. 35.
24 Juin 1927
Mon cher Walter ma chère Magda.
Je suis marié depuis quinze jours avec Mlle Sarazin-Levassor dont le père était dans l'affaire automobile Panhard-Levassor -
C'est une expérience charmante jusqu'ici et j'espère que cela continuera -
Ma vie n'est en rien changée -
Je dois faire de l'argent pour deux. Espérons que quelque chance par an aidera le ménage à entretenir un bien être.

Marcel Duchamp to Walter Pach, 24 June 1927, Paris

In Affectt/Marcel - The Selected Correspondence of Marcel Duchamp, edited by Francis M. Naumann and Hector Obalk, translated by Jill Taylor, [Thames & Hudson], Ludion, Ghent - Amsterdam, 2000.

Voir également : Un échec matrimonial, Le cœur de la mariée mis à nu par son célibataire même, éd. Marc Décimo, coll. L'écart absolu, Dijon, 2004, Les Presses du Réel.

05 novembre 2006

J. Povolozky & Cie

Autres flâneries, encore, en parcourant le très beau catalogue de l'exposition Yves Klein à Beaubourg. Le IKB, la couleur du ciel de Nice. Je pense à Piero Manzoni 1, à son Socle du monde, à ses Merdes d'artiste. Piero Manzoni (1933-1963) - Yves Klein (1928-1962). Penser à signaler l'indispensable étude de Didier Semin (Le Peintre et son modèle déposé, Mamco, Genève, 2001) dans laquelle on trouve des reproductions d'enveloppes Soleau et de dépôts de brevets d'invention de Klein. Ai réouvert ce soir un catalogue Seuphor, trouvé dans une belle librairie d'Amsterdam la veille du Noël 1999, et dans lequel j'ai retrouvé cette photographie de la devanture de la librairie-galerie de Jacques Povolozky, signataire de L'Œil cacodylate.
Seuphor, Vordemberge, un inconnu. [Fin des années 20]. In catalogue Seuphor, Musée National d'Art Moderne, Centre Georges Pompidou / Fonds Mercator, Paris, 1976, p. 79.

Erik Satie, Gnossienne n° 1 interprétée à l'accordéon par Teodoro Anzelotti

(Winter & Winter ed.)

Signature de Jacques Povolozky sur L'Œil cacodylate.

Je dois également signaler cette contribution, signée Eric Dussert, consacrée aux publications de Povolozky.

Signature de Marie de la Hire sur L'Œil cacodylate.

Toujours peu d'informations sur Marie de la Hire, exceptées deux reproductions de ses toiles. En attendant de trouver plus sur l'auteur du Picabia [LA HIRE (Marie de) Francis Picabia (Exposition à la Galerie de la Cible, décembre 1920). Paris, Galerie la Cible, 1920. 36-(7) p.-(10) f. de pl., front., ill. en noir et en coul. Tiré à 1 090 ex. numérotés : 10 h. c. sur chine marqués A à J, 50 sur pur fil Lafuma et 1 040 sur vergé teinté.], ces lignes de l'incontournable Michel Sanouillet :

Carton d'invitation à l'exposition Francis Picabia, Galerie Povolozky, 17 décembre 1920.

[Restait, pour le Francis Picabia de Mme de La Mire, la solution peu reluisante du compte d'auteur. Derechef, avec l'inépuisable énergie des apôtres et des femmes mûres qui s'ennuient, Marie s'entremit, plaida, représenta. Elle finit par prendre dans ses rets le libraire russe Jacques Povolozky : " Il me paraît très satisfait […] et il s'est tout à fait rangé à ma façon de voir qui est de vous mettre tout à fait à part d'un mouvement intéressant peut-être, mais où les talents de demain ont encore à faire leurs preuves, tandis que votre passé réjouit tous les vrais artistes. La bro­chure et l'exposition marcheront ensemble et feront la publicité à votre livre. " Essentiellement donc, l'exposition de décembre 1920 était conçue comme une manifestation publicitaire destinée à faire vendre deux ouvrages. C'est ainsi qu'au lieu de la soirée à esclandre dont les échotiers pari­siens s'apprêtaient à faire des gorges chaudes, Picabia offrit à ses amis et ennemis la parfaite caricature d'un de ces vernissages mondains où le Tout-Paris s'écrase dans quelque galerie exiguë pour s'abreuver de whisky et de potins, sans trop se préoccuper des toiles, d'ailleurs inacces­sibles, qui s'étalent sur les cimaises. Pour ajouter à la confusion des esprits, le peintre avait pris un malin plaisir à inviter des gens de tous bords, mais dont la plupart étaient, sinon hostiles, du moins assez mal disposés envers Dada. Et, puissance des relations, ils vinrent ! Dès vingt heures, ce 9 décembre 2, la rue Bonaparte fut embouteillée par la foule des grands soirs, les taxis, les limousines à chauffeur d'où descendaient des silhouettes connues. Il y avait là le monde, avec la princesse Murat, la baronne Deslandes, Marie de La Hire, le ministre de Cuba et le comte de Beaumont j les lettres, avec Max Jacob, Léon-Paul Fargue, Guy Arnoux, André Germain, Valentine et Jean Hugo, le poète américain Stephen Vincent Benèt, Georges Casella et Asté d'Esparbès, de Comœdia ; les arts, avec Segonzac, Picasso, Satie, Marie Laurencin, et Raymond Duncan ! le spectacle, avec Pierre Bertin, Marthe Chenal, Jasmine et Maud Loty. Dada aussi, bien entendu, était représenté par Tzara, Drieu La Rochelle, Clément Pansaers, Georges Ribemont-Dessaignes, Emmanuel Fay, Gabrielle Picabia et Marguerite Buffet, André Breton et sa fiancée Simone Kahn, Walter Semer, M. et Mme Philippe Soupault, et Aragon. Mais loin d'avoir la vedette, il en était réduit à jouer les figurants. Picabia avait pris un malin plaisir à inviter Cocteau à conduire son jazz-­band pendant la partie récréative de la soirée: il savait fort bien l'inimitié qui opposait le groupe Littérature à l'auteur du Bœuf sur le toit. Le " poète-orchestre ", comme l'appelait Aragon, se dépensa ce soir-là sans compter, assisté de la petite formation (Georges Auric et Francis Poulenc au piano) qu'il avait illustrée aux quatre coins de la capitale. Coiffé d'un "tuyau de poêle" et tapant à tour de bras sur une batterie insolite composée d'un tambour, d'une grosse caisse, de cymbales, de castagnettes, mais aussi de verres à boire, d'un mirliton et d'un klaxon, Cocteau "interpréta" des airs à la mode (Mon homme, Adieu, New York, le New York fox-trot et le tango du Bœuf sur le toit d'Auric) et, paraphrasant Tzara, donna, sur un rythme syncopé, la, recette pour faire de la musique moderne: prenez au hasard quelques exécutants, faites-leur jouer un fox-trot populaire, ajoutez-y des bruits divers, placez un poète au pupitre, et voilà ! Picabia espérait-il un affrontement entre les dadaïstes et le jazz-band de Cocteau ? Vraisemblablement. Mais ses espoirs furent déçus, car la force explosive de Dada, diluée dans la masse inerte des assistants, ne trouva pas prétexte à se déployer, même quand Tzara monta sur la petite estrade pour déclamer son Dada manifeste sur l'amour faible et l' amour amer.Ce texte, marqué au coin du plus authentique esprit Dada, se composait de seize « chants" se terminant chacun par une variation sur le thème« Je me trouve très charmant ". Tzara y donnait libre cours à son lyrisme verbal, qu'avec beaucoup d'humour il moquait et justifiait à la fois]. In Michel Sanouillet, Dada à Paris, Paris, 1993, Flammarion, pp.240-241.

Le volant d'Artimon, Paul Dermée, poème, éd. J. Povolozky, 1922. Couverture (bois gravé) de Louis Marcoussis.

La radiophonie : P. Dermée, E. Prampolini, M. Seuphor (1926).

© Photo Kertèsz. In Seuphor, ibid., p. 66.

J'évoquerai bientôt Paul Dermée et sa femme Céline Arnauld, L'Esprit Nouveau, Z, etc.

1 Piero Manzoni, Contre rien, éd. Allia, Paris, 2002.

2 Michel Sanouillet signale la date du 9 décembre 1920 alors que figure en toutes lettres la date du 17 X bre 1920 sur la carton d'invitation de l'exposition. Décembre semble le bon mois. Le jour est à voir.

27 octobre 2006

Comprend qui peut

Marcel Duchamp © Richard Avedon (New York, 1958)

22 octobre 2006

Réouverture

Longue vacance, puis lectures et relectures autour de Dada et du Bœuf sur le Toit. Ai ouvert à nouveau le Francis Picabia et 391 de Michel Sanouillet (Eric Losfeld, 1966), formidable ouvrage d'exégèse. Rencontre d'Antoine Piazza (auteur de Roman fleuve aux Editions du Rouergue) et lecture de ses Ronces. Réouverture, aussi, du Picabia par M. Sanouillet (L'Œil du Temps, 1964) comportant

un envoi de Germaine Everling-Picabia. Flâneries et rêveries diverses autour des Dessins des années de guerre (1915-1919) de Jean Hugo (Actes Sud & Réunion des musées nationaux, 1994).

Comme me l'a dit D. : "Il faudrait pouvoir faire une histoire de tout".

09 septembre 2006

Lectures croisées (I)

Francis Picabia, Machine tournez vite (1916-1918). Gouache et peinture métallique sur papier marouflé sur toile.
FONCTION DES ORGANES. - Le corps féminin peut-être vu comme machine et ses organes répondent à une fonction précise. La beauté naîtrait de l'adéquation de l'organe à son rôle. Un livre de 1938 décrit comme une mécanique un portrait de Diane de Poitiers : « En ce corps de sportive, chaque partie harmonieuse trouve sa prédestination : ces jambes sont faites pour la course, ces cuisses pour le cheval, ces bras pour l'arc, ce ventre pour l'amour. » Le fonctionnalisme met la femme en pièces. Il subordonne chaque organe à une tâche, à laquelle la femme totale, la femme toute ne prendrait pas sa part. Elle ne court, dit-il, qu'avec ses jambes, non pas avec ses seins, avec son cœur, avec sa bouche dont s'échappe le souffle. Elle ne chevauche, affirme-t-il, qu'avec ses cuisses, ne chasse qu'avec ses bras, n'aime qu'avec son ventre. Quelle aberration dans un tel discours : plus encore que chez l'homme, tout le corps de la femme est mobilisé par le plaisir, par l'effort. Enfin, il me semble ... Tel est mon mythe de la femme : non pas une accumulation de rouages, non pas une juxta­position d'organes spécialisés, mais des mouvements, des courants, des jouissances qui circulent. Elle est pour moi aux antipodes du modèle mécanique. Le modèle mécanique est toujours, sans doute, lié à une éthique, à un refus de la jouissance, à une hostilité contre tout dérèglement des sens. Le fonctionnalisme, partout est du côté des règlements. Chaque chose à sa place. Chaque place à sa chose. Chaque organe à sa fonction. Et un temps qui s'économise. Ne jouissez pas (dit alors l'homme à la femme) : car mon temps est plus précieux que le vôtre ; je le consacre à servir le pouvoir, ou à prendre le pouvoir, ou à gagner de l'argent, ou à prier Dieu. Romi (Mythologie du sein) cite le Chancre ou couvre-sein féminin (1635) de Jean Polman, chanoise théologale de Cambrai. S'y exprime le puritanisme fonctionnaliste : « Il est à remarquer que la nature n'a pas donné confusément les mêmes fonctions à tous les membres du corps humain, mais elle les a réparties en détail à chaque membre en particulier, suite de quoi le devoir des yeux est de voir, des oreilles d'ouïr, les pieds de cheminer, des mains de toucher, et des mamelles d'allaiter, et, hors de là, de se cacher. Or, qui voudra se servir de ses membres à tout autre usage qu'ils ne sont destinés, celui-là pervertira l'ordre et l'ordonnance de la nature et enfreindra les lois ». Pas de perversion. Pas d'infraction. Que chaque organe fasse son devoir ! Que les caresses soient exclues ! Alors le désir est aboli. Plus de place pour lui. Seuls subsistent des apprentissages. Ou bien, cela peut encore devenir pire. S'il y a pire. La femme devient machine à fabriquer des enfants. Et l’on ne la ménage que pour maintenir à peu près en état le moyen de production. Lorsqu'elle écrit à son gendre, Madame de Sévigné insiste, avec une ironie agressive, sur cette mécanisation de sa fille : « Vous dites que ma fille ne devrait faire autre chose que d'accoucher, tant elle s'en acquitte bien. Eh, Seigneur Dieu ! Fait-elle autre chose ? Mais je vous avertis que si, par tendresse et par pitié, vous ne donnez quelque repos à cette jolie machine, vous la détruirez infailliblement, et ce sera dommage. » Références : J. Robiquet, la Femme dans la peinture française (XV-XXe), Paris, Les éd. nationales, 1938 ; Romi, Mythologie du sein, Paris J.-J. Pauvert, 1965, p. 46. In Gilbert Lascault, Figurées, défigurées. Petit vocabulaire de la féminité représentée, Paris, UGE, 10/18, série « Esthétique », pp. 68-70.

01 septembre 2006

Une autre évocation du Bœuf

Les Mémoires du Baron Mollet, Gallimard, 1963

4ème de couverture

Ai ouvert à nouveau, tout à fait par hasard (?), Les Mémoires du Baron Mollet, haute figure du Collège de ’Pataphysique, qui évoque Le Bœuf sur le Toit [pages 138 à 143] et certains de ses illustres clients, en un temps béni où l'on quittait La Rotonde ou La Coupole pour finir sa soirée au Bœuf, rue Boissy d'Anglas. Au 8 de cette même rue, se trouve actuellement le fameux Buddah Bar *, que j'imagine fréquenté par une population tout aussi éclectique que fortunée. Jean Wiener et Clément Doucet ont cédé leur place aux DJ's, mixant les musiques d'aujourd'hui, ces nouveaux cocktails sonores qui offrent parfois de surprenants métissages.

* World bar chic et choc Un Buddha massif (8m sur 5m) trône en contrebas au milieu d'un atrium géant aux airs de temple asiatique, parfumé de senteurs d'encens. Les alcôves sombres en hauteur entourent la salle principale et forment l’espace bar. Vous l'aurez compris, la décoration est soignée dans cet établissement grandiose. L'endroit est d'abord connu pour les bons soins de ses "ambianceurs" musicaux qui produisent régulièrement des compilations à succès : Claude Challe dans les premières années, puis Ravin et David Visan férus de mix éclectiques à tendance world. On apprécie cet univers exotico-chic, cette pénombre ambiante du bar rendant l'atmosphère feutrée, pour découvrir des cocktails créatifs en "before" et à la carte du restaurant, une cuisine fusion à tendance asiatique. [Présentation de l'établissement par le site Webcity Paris].

29 août 2006

Ce soir, relâche

Lettre d'Erik Satie adressée à Francis Picabia (3 janvier 1921) et publiée dans Le Pilhaou-Thibaou [10 juillet 1921]
Erik Satie, Gnossienne n° 5 interprétée à l'accordéon par Teodoro Anzelotti (Winter & Winter ed.)

20 août 2006

Dans les rues d'Antibes

Cher ami Nous avons atteint la méditerranée en moins de quatre jours, c’est un record. L’automobile ne nous a causé aucun souci. Nous profitons de cette petite halte pour vous adresser nos meilleurs sentiments et vous informons que nous rentrerons vers le 15 septembre car nous entendons profiter d’une lumière encore bien vive. Nous logeons à la Villa Alba où nous avons tout confort. Hier, Germaine et Suzanne sont allées se faire faire une beauté chez M. Chauve. Voilà un nom qui ne s’invente pas ! Tout l’équipage (Jean, Suzanne, Germaine et Francis) pense bien à vous. F.P.

17 août 2006

Beam me up, Scotty !

Paris, 17 août 1921 Cher ami ! Quelques nouvelles d'un fort curieux endroit que certains nomment déjà "Paris à la plage" ! Il paraît même que les gazettes présentent nos bords de Seine comme un lieu mythique ! Mais qu'importe après tout, c'est un lieu formidable où nous avons beaucoup plaisanté ! Suzanne, Germaine et Marcel (qui ne quitte pas son pull-over !) se joignent à moi pour vous adresser une cordiale poignée de mains. Francis

Clichés d'un lieu mythique

Alors que je ne l’attendais plus, j’ai reçu ce soir le catalogue de l’exposition Au temps du « Bœuf sur le Toit ».

Satisfait (pour y avoir découvert quelques documents que je ne connaissais pas), un peu déçu (de ne pas y trouver, par exemple, la reproduction de la pièce 249 de l’exposition : Carte des champagnes du « Bœuf sur le Toit » illustrée d’un dessin de Jean Cocteau) et soulagé (de constater que les notices de quelques signataires de L’Œil Cacodylate demeurent relativement brèves). Etonné d’y trouver la reproduction d’une gouache de Jean Hugo (malheureusement en noir et blanc), une de ses dernières productions, et justement consacrée à l’intérieur du Bœuf sur le Toit (côté Bar).

Jean Hugo, Souvenir du Bœuf sur le Toit, avril 1981

Dans sa gouache, Jean Hugo a représenté L’Œil Cacodylate (sur lequel je crois reconnaître les noms de Tzara, Milhaud et De Massot) accroché au mur de droite, près du piano sur lequel jouèrent Clément Doucet, puis Jean Wiéner, lequel composera la musique du film Touchez pas au grisbi en 1954. Détail d’importance, et qui vient contredire la légende d’une des rares photographies (1924 – Man Ray ?) prises à l’intérieur du Bœuf sur le Toit :

« On reconnaît à gauche, assis sous L’Œil Cacodylate de Picabia, Louis Moysès […] Or, depuis la découverte de cette photo il y a quelques mois, il m’a toujours semblé que Louis Moysès était tout simplement assis sous un miroir. Une reproduction agrandie de cette photo figure dans le catalogue Artcurial et permet de constater les reflets des bouteilles alignées sur le bar. Mais il est probable que L’Œil ait été protégé par une glace. Doit-on se fier à la mémoire de Jean Hugo, qui place donc L’Œil sur le mur de droite ? Insignifiants détails !

Enfin, autre surprise, ce dessin accompagné d’un portrait collage, réalisé par Maurice Sachs en 1925 : « A mon cher Raoul [Leven] pour qu’il pense à moi et au [Bœuf sur le Toit] pendant son beau voyage. »

J’ai relevé, une fois de plus, les mêmes regrets, les mêmes souvenirs évoquant Le Bœuf sur le Toit, à croire que ce lieu, en ces quelques années vingt, fut le théâtre d’une vie magnifique et insouciante. J’ai repensé au texte de Roland Barthes (Au "Palace" ce soir - 1978 - Œuvres complètes, tome V, pp 456-458, Le Seuil)

et me suis demandé ce que pouvait bien être un lieu mythique (ce que fut Le Bœuf sur le Toit) aujourd’hui.