30 avril 2008

Dictionnaires

Organiser, donner du sens à près de mille cinq cents pages d’archives et de notes personnelles n’est pas une mince affaire. Agencer l’ensemble et l’exprimer sous la forme d’un « dictionnaire » est la première chose à laquelle j’ai pensé, d’une part parce que j’ai en chantier un « Dictionnaire Duchamp » qui à ce jour compte près de 938 entrées,

d’autre part parce que ma première approche bibliographique de L’Œil cacodylate a débuté avec le Petit lexique picabiesque "1921" - Les signataires de L’Œil Cacodylate issu du catalogue de l'exposition "Chapeau de paille ?" (Galerie Louis Carré, 04.11 - 04.12.1964, Paris). Les dictionnaires thématiques sont légion. Certains ouvrages ne s’affirment pas d’emblée comme des dictionnaires mais révèlent rapidement le profil d’une personnalité artistique sous la forme d’entrées alphabétiques, tel le Philippe Soupault – Voyageur magnétique de Serge Fauchereau (Editions Cercle d’Art, Paris, 1989). [1]

Dictionnaire Céline, Dictionnaire Baudelaire, Dictionnaire amoureux de Venise, etc. [2], nous ne manquons pas d’opus. Un des modèles du genre me paraît être le Dictionnaire Picasso
de Pierre Daix édité par Robert Laffont dans la fameuse collection Bouquins.
La forme du « dictionnaire », du moins pour une étude consacrée à L’Œil cacodylate, ne me convient pas.
Une autre forme possible est celle du « roman », plus précisément du récit où les affects jouent un rôle, forcément trop important. Je pense précisément au texte d’Alain Jouffroy intitulé La vie réinventée – L’explosion des années 20 à Paris (Robert Laffont, Paris, 1982 ; rééd. revue par l’auteur, Editions du Rocher, Paris, 2004). [3]

Pour l’heure, j’ai arrêté le premier découpage de L’Œil cacodylate :



[1] Ouvrage publié à l’occasion de l’exposition « Philippe Soupault – Le Voyageur magnétique » qui s’est tenue au Centre des Expositions de Montreuil du 8 janvier au 28 février 1989.
[2] Les dictionnaires de ce genre ne sont-ils pas, par définition, « forcément amoureux » ? Un « dictionnaire Proust » et un « dictionnaire Borges » seraient les bienvenus.
[3] A ceux que rebuteront les 472 pages de ce livre, nous nous permettons de préciser que nous apprenons quelques rencontres de Modigliani et d’André Breton au début du mois de juin 1919 « aux abords de la Closerie des Lilas ». Une même passion unira éphémèrement les deux figures : la lecture des textes de Lautréamont. « Personne n’a parlé de cette rencontre, qui a mis en contact deux personnalités qui se sont approchées du même danger par des voies différentes … Breton, qui ne l’a, je crois, confié qu’à moi, n’a pas cru devoir l’évoquer par écrit. » Alain Jouffroy, op. cit., p. 40.

Enfin, pour respecter la vocation bibliographique de ce blog, je me permets de signaler trois dictionnaires :





Les archives du blog cacodylate n'ont pas disparu : elles se trouvent désormais en fin de page. J'ai cru bon de les faire précéder de quelques liens utiles, pour ne pas dire indispensables.

12 avril 2008

Gstaad (1918-2008)

En cherchant de nouvelles informations sur Marthe Chenal, j’ai découvert un document anonyme consultable sur le site Gallica / BNF. L’ouvrage est le suivant :


dans lequel sont citées de nombreuses personnalités de l’époque, dont : Georges Auric, Jules Claretie, Jean Cocteau, Pierre Lalo, Darius Milhaud, Gaston de Pawlowski, Paul Poiret, Raymond Radiguet, Erik Satie…
Pages 33-34 du document, j’ai pu lire ceci :
« La renommée de ce restaurant chinois de la rue des Ecoles y attire une nombreuse clientèle d’originaux, d’écrivains, d’artistes, toutes gens amateurs de randonnées dans les quartiers perdus, ou en quête d’alimentations inédites. Mlle Marthe Chenal affectionne l’endroit pour les mets épicés qu’on y sert en abondance sous le regard de chinois authentiques qui pullulent dans la cuisine où ils s’activent silencieusement et jusque dans les rangs du personnel strictement asiatique. Vers le milieu du repas, les bouteilles défilent à une cadence précipitée, sans toujours éteindre la soif des convives de Mlle Marthe Chenal qui dressée telle une torche vivante, le visage en feu et la bouche crispée, stimule de temps en temps le zèle ses [sic] sommeliers en leur criant :
- Envoyez donc les pompiers, nom de Dieu ! »

Idiotes, boursouflées et strictement contemporaines du Manifeste du surréalisme * de Breton (1924), ces lignes m’ont fait penser à celles que consacre Agathe Godard en dernières pages de Paris Match. Par curiosité encore, je découvre que cette même femme de lettres a alimenté un blog entre février et mars 2007 et dont le dernier billet nous donne à lire ceci :

« Pas de neige, mais rien de dramatique puisque rarissimes sont les skieurs. On vient ici pour se balader en chinchilla ou en zibeline, diner au grill du ”Palace” , déjeuner au “Rialto” dans la seule grande rue de cette flamboyante station pour “rich and famous” où le couturier Valentino, Michel Pastor, Jean-Claude Mimran, les Savoie, etc. possèdent des chalets de plusieurs millions d’euros. Comme d’habitude, c’est au “Park Hotel” luxueux palace appartenant à Donna Spaeth-Bertarelli, la blondissime et super-glam soeur d’Ernesto Bertarelli, que Fawaz Gruosi a exposé ses somptueuses pièces de joaillerie et donné un dîner et une fête qui se prolongea jusqu’à l’aube. Fawaz avait proposé 5000000 dollars à l’agent de Scarlett Johansson, la nouvelle star que l’on s’arrache, mais son agent n’avait même pas daigné répondre. Ce fût donc Naomi Campbell qui vint gratuitement par amitié pour son copain Fawaz, remplacer l’inaccessible diva. D’humeur exquise, la “black panthère” retrouva ses copines : Caroline Schefeule, co-propriétaire de Chopard, et épouse de Fawaz, Dona Spaeth-Bertarelli, Tamara Beckwith, belle jet-setteuse anglaise... Naomi va bientôt, annonçait-elle, fêter ses 21 ans... de mannequinat. Elle ne sait pas encore où, mais elle fera une grande fête et Kate Moss qu’elle adore sera de la partie. »

Le post d’A.G. propose deux alternatives :
1) Envoyer l’article à un ami

2) Une série de huit clichés (Gstaad soirée de Grisogono) dont quatre sur lesquels figure A. Godard, pour notre plus grand bonheur.

Gstaad. Comment ne pas penser à Francis Picabia qui y acheva, le 5 avril 1918, son recueil intitulé Poèmes et dessins de la fille née sans mère – [18 dessins / 51 poèmes] ? **




Un petit trou de mémoire, des archives défaillantes, et me voilà compulsant mes carnets durant une bonne heure. Picabia. Dépression. Quelle année ? Et je tombe sur ces lignes de Cathy Bernheim *** qui révèlent peut-être la formule chimique exacte de l’acide cacodylique mais accusent un écart d’une année sur L’Œil cacodylate.


Tenter d’écrire quelques lignes, traquer les imprécisions, ne rien passer. Un mot d’ordre. Mais en quel honneur, cher Francis ?

* André Breton, Manifeste du surréalisme, Œuvres complètes, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, tome 1, pp. 311-346. Surprenant tome 1, aux 711 pages de notices, notes et variantes. Qui dit mieux ?
Décidément, il m’est de plus en plus difficile d’apprécier la prose de Breton, surtout quand je relis ceci : « Roussel est surréaliste dans l’anecdote ». Ibid., p.329.
** Imprimeries Réunies, Lausanne, 1918. Rééd. Allia, Paris, 1992.
*** Picabia, éditions du Félin, coll. Vifs, Paris, 1995, p. 104.

09 avril 2008

Cher Horacio


Si votre dégoût * est mien, sachez qu’en 1935 ** deux amazones posèrent devant l’objectif.
Observez, au second plan, cet impensable cadre de bois clair, étouffant les bords de notre icône préférée. Regardez par ailleurs ces difficiles chaussures et ces gestes figés.
Une abomination, me dites-vous ?
* * *
[…] Georges Auric est l’un des premiers à découvrir la singulière toile : « Il me montra, un dimanche, une toile qui, mis à part un œil d’un dessin et d’un coloris et d’un réalisme absolu, était totalement blanche. Me donnant un pinceau : “ Tu sais, ordonna-t-il après un beau sourire, il va falloir que tu écrives quelque chose là-dessus !” Que faire d’autre à mon tour que d’inscrire une phrase qui devait ressembler, si ma mémoire est exacte à : “ Je n’ai rien à vous dire … ”». *** […]



* Horacio Castellanos Moya, Le dégoût, Thomas Bernhard à San Salvador, éd. Les Allusifs. C. Bourgois, coll. 10/18, 2005.
** Francis Picabia dans les collections du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris, 2003, p. 135. [Présentation de robes au Bœuf sur le toit, décembre 1935].
*** Georges Auric, Quand j’étais là, Paris, Grasset, 1979, p.116. Cité par Didier Ottinger, op. cit., p. 50.

Borges-Dada


ESQUISSE CRITIQUE POUR « DADAGLOBE »

Chaque instant de la vie peut se
visualiser dans un point déterminé par
l’unique coordonnée du Temps et les trois
coordonnées des dimensions. Tel de ces
points – crise, carrefour = marotte des
romanciers psychologiques – se déversent sur le
reste, tache d’encre ou gloire, et le modèlent.
Dada proteste contre cette invasion.
Cela est fort bien.
Mais – et voici le paradoxe – le dadaïsme
(insouciance, grimace clownesque, imprévu)
représente lui aussi une agression. Enflure
des états d’âme de quelques bipèdes.
Un style. Une cage. Comme le kantisme
ou l’hédonisme.
Le problème de la vie, ayant autant de
formes qu’il y a d’équations individuelles
aucune formule (pas même celle du nihilisme)
ne saurait satisfaire à tous les cas
ou, dans une autre suite verbale, = la réglementaire
intuition n’est pas intuitive.
Mais, oh la joie solaire et populaire et quoti-
dienne du dadaïsme sans dada !

Ceci du point de vue logique. Au point de
vue individuel, je lance mes mains remplies
d’applaudissements vers Tzara, Picabia et
autres complices.


J.L. Borges, Autour de l’ultraïsme / Articles non recueillis, in Œuvres complètes, Tome I, Paris, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, pp. 842-843. Traduction par Jean-Pierre Bernès.


* * *



Ce texte inédit de Borges est un manuscrit non situé et non daté de trois pages conservé à Paris, dans le fonds Doucet de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Le texte de Borges aurait dû être publié dans Dadaglobe, anthologie dadaïste internationale annoncée mais restée inédite. (L'ensemble des textes spécialement écrits pour Dadaglobe par la plupart des dadaïstes des divers pays occupe envi­ron 150 pages et se trouvait dans la collection Tzara). Notons qu'une Petite anthologie dada avait paru le 20 novembre 1919 à Séville dans le numéro 33 de la revue Grecia (textes de Pierre Albert-Birot, Jean Cocteau, Picabia, Reverdy, Ribemont-Dessaignes, T. Tzara, dans des traductions dues à Lasso de la Vega).
Le fonds Doucet conserve également une lettre collective adres­sée à Tzara, écrite de la main de Borges, et un texte d'écriture auto­matique, « table de nuit faites vos jeux messieurs. . . », lui aussi transcrit par Borges, que l'on donne ci-après ; ces trois documents manuscrits inédits datent très probablement du début de 1921.

Café colonial

Admiré confrère !

Avec notre adhésion
joyeuse à Dada nous vous envoyons
de ce Strident café le suivant
poème collectif pour Cannibale

Agréez nos athlétiques
poignées de mains.

Nous vous prions d'envoyer les numéros à

Pedro Garfias. Ateneo. Madrid.
Eugenio Montes. Ateneo. Madrid.
Jorge-Luis Borges. Poste restante. Madrid.
E. Correa Calderón. S. Isabel 15. Madrid.
Tomás Luque. Mendizabal 56. Madrid.
L. Walton. Jesus College. Oxford.
Guillermo de Torre. Ateneo. Madrid.

table de nuit. faites vos jeux messieurs
YY Charlot foutu rayons X
Whisky godemiche 69
¡ Ey carballeira ! Himen Films
8 ça fait 16 peignes 606
A.E.I.O.U Belmonte avec
biscuits oui je veux te mettre
en film 1 heure 20
pince-moi les mares baissent plus
que le métro.
media verónica French lost his cock
ja ja ja jazz-band poison.
petites anglaises.

Montes. Luque. Borges. Garfias
Torres Correa Walton

J.L. Borges, Notes in Œuvres complètes, Tome I, Paris, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, pp. 1712-1713.