29 octobre 2009

À en perdre le boire et le manger

En sortant du concert des Pixies, Julie me demandait récemment ce qui motivait mon travail autour de L’Œil cacodylate. Je lui ai répondu confusément qu’il s’agissait de me trouver une autre famille, d’espérer m’infiltrer, incognito, dans la photo d’un groupe que j’espérais faire mien. Une demande d’adoption, en quelque sorte. Ces deux dernières semaines ont été très chargées. Lecture de

Man Ray à Montparnasse (Hubert Lottman, Hachette Littératures, 2001), relecture d’extraits du Self Portrait (Actes Sud, coll. Babel, 1998, trad. de l’américain par Anne Guérin) et de Ce que je suis et autres textes (Hoëbeke, présentation de V. Lavoie, 1998). Notes autour des Mémoires de l’oubli de Philippe Soupault (Tome I, 1914-1923 et tome II, 1923-1926, Lachenal & Ritter, respectivement 1981 et 1986). Ai enfin trouvé le catalogue de vente Artcurial

« L’univers de Valentine Hugo » (collection Pierre Spivakoff,– 25 février 2006) et

Atelier Man Ray, Unconcerned but not indifferent (catalogue de l’exposition Man Ray à la Pinacothèque de Paris, 5 mars 2008 – 1er juin 2008, éd. Man Ray Trust et La Fabrica). Scans divers et variés. Le dernier en date : chapitre « Le Bœuf sur le toit » issu des Souvenirs retrouvés de Kiki de Montparnasse (José Corti, 2005). Le soir, c’est (presque) repos, avec la lecture de Raymond Radiguet 1903-2003 – Colloque du centenaire (textes et documents réunis et publiés par P. Caizergues et M.-C. Movilliat, Centre d’étude du XXe siècle, Université Paul-Valéry, Montpellier III, 2005).

En passant, je signale la réédition, chez Attila, de Paris insolite de Jean-Paul Clébert, illustré par les photographies de Patrice Molinard. Le texte de Jean-Paul Clébert, aux discrets accents céliniens, est une merveille de littérature.

18 octobre 2009

«Je n'ai rien à vous dire»

« De Picabia, j’avais connu d’abord, séparée de lui, la première femme : Gabrielle Buffet. Elle me parlait de son mari (inoubliable), de leurs amis (entre autres de Marcel Duchamp). Excellente musicienne, elle ne voulait rien ignorer de nos tentatives. Francis le séducteur, revenu d'Amérique en France, allait habiter à la Muette, bou­levard Émile-Augier, chez Germaine Everling, compagne entre toutes riante et séduisante. Nous nous rencontrâmes à cette époque et il décida de recevoir, chaque dimanche, quelques familiers auxquels j'eus rapidement

Georges Auric par Valentine Hugo. Dessin au crayon, 1921.© collection H. Sauget.
l'heureux privilège d'être associé, déjeuners, longs après-midi où j'appris à aimer un hôte d'une drôlerie parfois insur­passable. Après avoir refusé d'aller au café Certa, je me rendis donc boulevard Émile-Augier. Alerté au bon moment, j'y trouvai Tzara, invité par Picabia à venir y séjourner dès son arrivée à Paris. Immédiatement, les deux hommes me parurent curieu­sement contraster par le caractère, la personnalité. Face à Picabia, à sa verve, à sa spontanéité, Tzara ressemblait soudain à un provincial quelque peu effarouché par le milieu parisien. Silencieux, effacé, presque terne, le messie de « Dada » tentait assez médiocrement de se libérer, articulant de temps en temps deux ou trois phrases qui n'étaient explosives que pour lui.»

Georges Auric, Quand j’étais là, Grasset, 1979, pp. 113-114.

11 octobre 2009

De Massot in english for The Little Review

QUESTIONNAIRE
1. What should you most like to do, to know, to be ? (In case you are not satisfied).
2. Why wouldn’t you change places with any other human being ?
3. What do you look foreward to ?
4. What do you fear most from the future ?
5. What has been the happiest moment of your life. The unhappiest ? (If you care to tell).
6. What do you consider your weakest characteristics ? Your strongest ? What do you like most about yourself ? Dislike most ?
7. What things do you really like ? Dislike ? (Nature, people, ideas, objects, etc. Answer in a phrase or a page, as you will).
8. What is your attitude toward art today ?
9. What is your world view ? (Are you a reasonable being in a reasonable scheme ?)
10. Why do you go on living ?

* * *

1. Nothing to answer to this, not that my own life satisfies me, but rather that the lives of others disgust me.
2. I don't care enough about anything not to change places with the first person who came along.
3. Perpetual revolution in every realm.
4. Night, in certain eyes ?
5. Don't know. – When I discovered that my sweetheart had true lesbian tastes, although they were ardently desired and provoked by myself. (Cf. Freud.)
6. A certain imbecilic inclination towards indulgence. – My capacity for scorn.
7. a) Solitude, drugs, my bull-dog, fourteen year old girls. b) Soldiers, priests, the police, children and their whores of mothers, religions, dogmas and faiths, the abominable idea of fatherland.
8. Absolute indifference. (I'd give a hundred painters, a hundred musicians, a hundred poets, for one Lenine).
9. Eh bien, merde.
10. For love of death.

in The Little Review, Spring number, May 1929. Vol. XII, n° 2, pp. 45-46.

10 octobre 2009

Une pure anecdote, par Philippe Soupault

Couverture du catalogue de l'exposition Picabia, galerie Danthon (1923)

Au chapitre "maltraitons nos idoles", je ne résiste pas à l'envie de reproduire ici une annotation de Philippe Soupault, trouvée dans un catalogue de vente et écrite en marge de son exemplaire de L'aventure dada (Georges Hugnet, Galerie de l'Institut, Paris, 1957), à la suite de la phrase "La nature chaleureuse de Picabia" :

"Picabia était envieux, méfiant, mauvais copain, vaniteux, et surtout affreusement peureux. Guillaume Apollinaire considérait Picabia comme un caméléon. Les deux méfiants se considéraient comme des chiens de faïence."
Il ne s'agit pas, ici, de prendre pour argent comptant cette déclaration de Philippe Soupault mais de la considérer comme une simple indication (comme dirait Thomas Bernhard) à verser au copieux dossier de l'histoire "alternative" du mouvement dada.

01 octobre 2009

Piste aux étoiles

De tous les signataires de L’Œil cacodylate, ils furent les plus populaires. Le grand public les a adorés, les peintres (Fernand Léger, Miró – qui leur consacre deux toiles en 1927), les poètes, les écrivains n’ont eu de cesse de faire leur éloge. Darius Milhaud

Darius Milhaud et les Fratellini à l'époque de la création du Bœuf sur le toit © Archives Darius Milhaud

composa une version pour piano et petit orchestre, issue de son Bœuf sur le toit, intitulée Tango des Fratellini (Op. 58c). Milhaud témoignera plus tard : « Après le dîner, attirés par les manèges à vapeur, les boutiques mystérieuses, la Fille de mars, les tirs, les loteries, les ménageries, le vacarme des orgues mécaniques à rouleaux perforés qui semblaient moudre implacablement et simultanément tous les flonflons de music-hall et de revues, nous allions à la Foire de Montmartre, et quelquefois au cirque Médrano pour assister aux sketches des Fratellini qui dénotaient tant d’imagination et de poésie qu’ils étaient dignes de la commedia dell’arte. » (1) La publicité s’empara de leur succès (on les voit poser devant une Amilcar, la marque de voiture préférée de Fatty), on fabriqua d’innombrables jouets à leur effigie, sans parler des broches, des peignes, des verres et jusqu’au papier peint destiné aux chambres des enfants. Dès 1923, un certain Pierre Mariel leur consacre un livre : Les Fratellini. Histoire de trois clowns. (2) Paul Poiret dessina un costume pour François, Rita Hayworth, Fred Astaire, Douglas Fairbanks (parmi quelques centaines d’autres admirateurs, et non des moindres) signèrent leur livre d’or. Le 29 juin 1924, les Fratellini (Paul, 1877 - 1940 ; François, 1879 - 1951 et Albert, 1886 - 1961) donnèrent leur dernière représentation à Médrano. Quelques jours plus tard, sous la plume du très lyrique Gustave Fréjaville, on pouvait lire dans Comœdia : « Ils ont été applaudis avec enthousiasme, rappelés, acclamés. Des gerbes de fleurs ont envahi la piste. Et comme nous allions leur serrer la main après la représentation, dans cette loge pittoresque cent fois décrite, nous avons assisté à un spectacle émouvant que ne déparait aucun médiocre romantisme : tandis que Paul essayait de dissimuler son émotion sous une activité empressée et prodiguait à ses amis des paroles aimables, tandis que l’énigmatique Albert, toujours impénétrable, s’évertuait silencieusement, avec une application affectée, à détruire sur son visage son prodigieux masque de piste, François, lui, ne songeait pas à feindre et tout simplement, à grosses larmes, à gros sanglots, éperdu de reconnaissance et de regret, pleurait comme un enfant. » (3) De Médrano au Cirque d’Hiver en passant par de nombreuses tournées en province et à l’étranger, leur succès durera trente ans. En 1955, Albert publie les mémoires du trio sous le titre

Nous, les Fratellini, dans lequel il n’omet pas de signaler L’Œil cacodylate (pp. 228-229) :

(1) Darius Milhaud, Ma vie heureuse, Belfond, 1974, p. 84. (2) Paris, Société Anonyme d’Editions.

(3) Comœdia, 3 juillet 1924.
(Le titre du précédent post reprenait celui du livre de Paul Joostens mais il semble que les administrateurs ont jugé bon de le considérer comme un outrage aux bonnes moeurs ...Gommer pour mieux souligner ?)