Francis Picabia, Machine tournez vite (1916-1918). Gouache et peinture métallique sur papier marouflé sur toile.
FONCTION DES ORGANES. - Le corps féminin peut-être vu comme machine et ses organes répondent à une fonction précise. La beauté naîtrait de l'adéquation de l'organe à son rôle. Un livre de 1938 décrit comme une mécanique un portrait de Diane de Poitiers : « En ce corps de sportive, chaque partie harmonieuse trouve sa prédestination : ces jambes sont faites pour la course, ces cuisses pour le cheval, ces bras pour l'arc, ce ventre pour l'amour. » Le fonctionnalisme met la femme en pièces. Il subordonne chaque organe à une tâche, à laquelle la femme totale, la femme toute ne prendrait pas sa part. Elle ne court, dit-il, qu'avec ses jambes, non pas avec ses seins, avec son cœur, avec sa bouche dont s'échappe le souffle. Elle ne chevauche, affirme-t-il, qu'avec ses cuisses, ne chasse qu'avec ses bras, n'aime qu'avec son ventre. Quelle aberration dans un tel discours : plus encore que chez l'homme, tout le corps de la femme est mobilisé par le plaisir, par l'effort. Enfin, il me semble ... Tel est mon mythe de la femme : non pas une accumulation de rouages, non pas une juxtaposition d'organes spécialisés, mais des mouvements, des courants, des jouissances qui circulent. Elle est pour moi aux antipodes du modèle mécanique.
Le modèle mécanique est toujours, sans doute, lié à une éthique, à un refus de la jouissance, à une hostilité contre tout dérèglement des sens. Le fonctionnalisme, partout est du côté des règlements. Chaque chose à sa place. Chaque place à sa chose. Chaque organe à sa fonction. Et un temps qui s'économise. Ne jouissez pas (dit alors l'homme à la femme) : car mon temps est plus précieux que le vôtre ; je le consacre à servir le pouvoir, ou à prendre le pouvoir, ou à gagner de l'argent, ou à prier Dieu. Romi (Mythologie du sein) cite le Chancre ou couvre-sein féminin (1635) de Jean Polman, chanoise théologale de Cambrai. S'y exprime le puritanisme fonctionnaliste : « Il est à remarquer que la nature n'a pas donné confusément les mêmes fonctions à tous les membres du corps humain, mais elle les a réparties en détail à chaque membre en particulier, suite de quoi le devoir des yeux est de voir, des oreilles d'ouïr, les pieds de cheminer, des mains de toucher, et des mamelles d'allaiter, et, hors de là, de se cacher. Or, qui voudra se servir de ses membres à tout autre usage qu'ils ne sont destinés, celui-là pervertira l'ordre et l'ordonnance de la nature et enfreindra les lois ». Pas de perversion. Pas d'infraction. Que chaque organe fasse son devoir ! Que les caresses soient exclues ! Alors le désir est aboli. Plus de place pour lui. Seuls subsistent des apprentissages.
Ou bien, cela peut encore devenir pire. S'il y a pire. La femme devient machine à fabriquer des enfants. Et l’on ne la ménage que pour maintenir à peu près en état le moyen de production. Lorsqu'elle écrit à son gendre, Madame de Sévigné insiste, avec une ironie agressive, sur cette mécanisation de sa fille : « Vous dites que ma fille ne devrait faire autre chose que d'accoucher, tant elle s'en acquitte bien. Eh, Seigneur Dieu ! Fait-elle autre chose ? Mais je vous avertis que si, par tendresse et par pitié, vous ne donnez quelque repos à cette jolie machine, vous la détruirez infailliblement, et ce sera dommage. »
Références : J. Robiquet, la Femme dans la peinture française (XV-XXe), Paris, Les éd. nationales, 1938 ; Romi, Mythologie du sein, Paris J.-J. Pauvert, 1965, p. 46.
In Gilbert Lascault, Figurées, défigurées. Petit vocabulaire de la féminité représentée, Paris, UGE, 10/18, série « Esthétique », pp. 68-70.