26 décembre 2006

Dodo & Co, de Zayas & Cie

Les premières lignes de L’Anneau de Saturne de Germaine Everling évoquent « les Zayas », c’est-à-dire Georges de Zayas et Dodo Doilac, deux signataires de L’Œil Cacodylate sur lesquels je n’ai recueilli que peu d’informations jusqu’à présent. Dodo Doilac ["Je voudrais mettre quelque chose"]

est citée à plusieurs reprises au début des « mémoires » de Germaine Everling. Si Marius de Zayas est resté le plus cité des deux frères, Georges mérite bien une notule, histoire de remettre les pendules à l’heure. Ce n’est pas Marius de Zayas (1880 Veracruz, Mexico –1961 New York),

Marius de Zayas via http://www.ieeff.org/ny.html

comme l’indiquent erronément nombre de notices, qui tondit une comète sur le crâne de Marcel Duchamp,

"Il faut mais je ne peux pas", Georges de Zayas sur L’Œil Cacodylate

Marcel Duchamp tonsuré par Georges de Zayas © Archives photographiques Marcel Duchamp
mais bien Georges, qui fut le compagnon de Dodo Doilac, danseuse aux Folies Bergère

Les Folies Bergère, début des années vingt

Marinett (danseuse aux Folies Bergère, 1905)

dans les années vingt. Comme son frère Marius, Georges fut caricaturiste, dans une mesure qui reste à définir tant les traces demeurent menues. Le catalogue Picabia (CNAC Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Paris, 1976, p. 19) reproduit un dessin de Georges de Zayas

Francis Picabia par Georges de Zayas circa 1923

tandis que l’imposant et non moins introuvable Picabia de Maria Lluïsa Borràs (Albin Michel, Paris, 1985, p. 30) propose un rare cliché sur lequel sont présents Marius de Zayas et Francis Picabia,

« coloriant à la main des exemplaires de la revue 291 à New York ». Quel audacieux éditeur proposera un jour en fac-similé l’intégralité les numéros de 291,

Couverture du premier numéro de 291 par Marius de Zayas, mars 1915

comme le firent Michel Sanouillet pour 391 et Jean-Michel Place pour Littérature ?

04 décembre 2006

La Piste aux Etoiles

Evocations des "dîners du samedis", au fil de la lecture de Raymond Radiguet ou la jeunesse contredite - 1903 - 1923 de Marie-Christine Movilliat, - éditions Bibliophane-Daniel Radford "1918-1919 : Au mois d'octobre, c'est sous l'impulsion du poète qu'ont commencé ces dîners hebdomadaires, et tous ceux qu'il serre autour de lui - ils seront de plus en plus nombreux - en vanteront longtemps les plaisirs, la bonne humeur. Chaque semaine, on se réjouit du prochain samedi. Manquer un samedi est une idée que personne n'envisage. Du moins au début. Parlant de ces dîners qui durèrent deux ans, lors d'une conférence au Collège de France en 1923, Jean Cocteau dit qu'ils furent abandonnés parce qu'ils devenaient une véritable institution, voire une obligation, et que lui-même en venait à être vexé par une défection comme jadis son grand-père quand quelqu'un manquait une réunion de famille. Reste que son prestige rassemble, dès le premier hiver, des personnalités fort différentes qui sans lui ne se seraient sans doute jamais rencontrées. Les premières rencontres ont lieu chez Darius Milhaud, qui habite à Montmartre avec Héloïse, sa vieille bonne venue d'Aix, un petit appartement tout tapissé de vert, au 5 rue Gaillard, dans le haut de la rue Blanche. On prend des cocktails, particulièrement redoutables le soir où Paul Morand les compose à base désinfectant, quand ce n'est pas Lucien Daudet qui a le shaker mauvais... Ensuite, pique-nique sur place, ou dîner au Petit Bessonneau, un bistrot de Montmartre (alors Max Jacob est de la fête) à la portée de toutes les bourses. Personne, sauf Poulenc, n'étant bien riche, chacun paie son écot. (...) On bavarde en confiance. Les conversations les moins concertées de cette pléiade brillante finissent immanquablement sous la houlette de son astre majeur, Jean Cocteau. Il rode sur les convives comme sur un brouillon ces bulles sonores qui vont devenir livres, articles, répliques d'acteurs, poèmes. Pas le moindre ragot, pas la moindre vulgarité, rien n'est dit qu'il ne pourrait écrire. Après dîner, on va à la foire de Montmartre sur le boulevard Clichy, ou au cirque Médrano : on manque rarement l'entrée des trois Fratellini, clowns, comédiens, acrobates, musiciens, dignes de la commedia dell'arte. La soirée se termine dans l'appartement de l'un ou l'autre par de la poésie, de la musique ou quelque facétie. Mais le besoin de faire, d'agir, de créer, survit à tous les surmenages mondains et le temps des samedistes ne se passe pas tout entier en festivités. Les musiciens composent, Lucien Daudet ombre des portraits à la mine de plomb, et tient son journal, Irène Lagut peint ses écuyères et ses chevaux de cirque, Jean Hugo grave des paysages sur linoléum, Valentine dessine, Jean Cocteau travaille à une pantomime, Paul Morand rédige ses nouvelles, Radiguet écrit un peu, lit, observe beaucoup. Chacun est emballé par chacun. "Nous sommes SAM, proclamera ouvertement le premier numéro du Coq, organe de presse du groupe : Société d'Admiration Mutuelle." L'amour du théâtre, le souvenir de Parade ont donné à Cocteau l'envie de se consacrer de nouveau à la scène et d'écrire une vraie farce. Quand le compositeur (Darius Milhaud) comprit ce que voulait faire son ami, il songea à un titre, celui d'une rengaine entendue au carnaval de Rio, O boi no telhado, "Le Bœuf sur le Toit". Depuis la répétition générale du spectacle-concert (21 février 1920),les dîners du samedi se font rue Pierre-Demours. Jean Cocteau y a découvert un lieu clandestin tenu par un ancien forçat, René de Amouretti : deux pièces sans aucun meuble où l'on sert des boissons et une vague nourriture. Assis sur la moquette, on écoute quelques musiciens jouer de la guitare hawaïenne, un instrument tout récemment apparu en France. C'est là que le 6 mars 1920 naît l'idée de fonder un journal qui constituerait une réponse directe de Cocteau à l'ostracisme perpétré contre lui par les revues dadaïstes .Le "Coq" s'annonce résolument anti-dada. (Il) apparaît généralement comme l'organe d'expression du Groupe des Six. Il est vrai que, décidés à ne pas avouer d'esthétique commune, les Six ont cependant signé de leurs six noms les fascicules du "Coq". Janvier 1921. Les dîners du samedi sont maintenant connus et le clan s'augmente, non seulement d'artistes, mais de curieux. Bien souvent, des invités de passage élargissent le cercle, des étrangers surtout. L'intimité s'en ressent. la bande fréquente un restaurant après l'autre sans découvrir l'endroit idéal. On est un peu las du cirque, cette "école de travail, de force discrète, de grâce utile" où, depuis le bœuf sur le toit" on continuait à aller chercher une leçon d'équilibre, et les samedis se terminent à présent porte Maillot, chez la danseuse Caryathis, la future Elise Jouhandeau. Pour elle, bientôt, Satie écrira "la belle Excentrique". Quelques temps auparavant, Louis Moysès, un garçon qui végétait dans les Ardennes (...) avait décidé de tenter sa chance dans la capitale où il souhaitait monter une affaire. Au hasard de ses recherches, il tomba sur un bar, au 17 de la rue Duphot, le "Gaya". On y servait du vin espagnol. Le local était minuscule et ses murs recouverts de céramiques bleu ciel lui valaient de la part de certains habitués le gracieux surnom de "bar-lavabo". Séduit malgré tout, Moysès chercha une idée pour lancer l'endroit. (...) Il engagea Jean Wiener pour tenir le piano. Aucun choix n'aurait pu être meilleur. Ce jeune homme très doué, aimant le jazz autant que les classiques, "interprétait de la musique syncopée avec une aisance aérienne" (citation de Milhaud). Milhaud, son ancien condisciple au Conservatoire, ayant souvent exprimé l'envie d'un lieu où ses amis et lui seraient chez eux, il lui proposa alors de transporter leurs réunions hebdomadaires au "Gaya". Et Darius de courir aussitôt annoncer à Jean Cocteau : "Je t'apporte un bar !" Dans la chambre de la rue d'Anjou, ce brave Moysès allait gagner instantanément l'amitié du poète en demandant, le doigt pointé vers la photographie de Rimbaud : "N'ai-je pas déjà vu ce visage-là quelque part ?" On décida de l'inauguration du bar. "En cinq ou six coups de téléphone, Cocteau mobilisa tout Paris" (Jean Wiener). Avec le piano, il fallait un matériel de drummer. Stravinsky, qui composait "Noces" prêta une caisse et une timbale sur lesquelles, les nuits suivantes, Cocteau s'essaierait à reproduire la "catastrophe apprivoisée"" - le jazz - qui l'avait tellement frappé chez le premier orchestre négro-américain entendu en 1918 au casino de Paris. Peu avant l'ouverture, Vance Lowry se présenta. C'était un Noir charmant et gai parlant très bien le français avec un délicieux accent américain, joueur de saxophone et de banjo appelé à devenir un des grands personnages des premiers temps du Gaya. " http://leonicat.club.fr/cocteau/article03.html
Les frères Fratellinis (détail de L'Œil cacodylate - carte postale ?)

Ricordi di 3 Fratel / Fratellinis. [27.11.1921]

Le cirque Medrano, boulevard de Rochechouart [1915-1920]

Les Fratellinis par Fernand Léger