18 octobre 2005

Planète dada

N’en déplaise à la fort sympathique manifestation anti-dada, timidement relatée par la presse parisienne et notamment évoquée par Jean-Luc Bitton, le mouvement dada est mort, et donc apte à entrer (une nouvelle fois) au musée. Ne nous fâchons pas : les avant-gardes, qu’on le veuille ou non, finissent par trouver leurs historiens tôt ou tard. Un matin, même le plus beau désordre parvient à s’aménager une place, ce qui n’empêchera jamais que souffle à nouveau le vent d’une révolte contemporaine. Underground, en sourdine, cette dernière existe néanmoins. Mais nous ne sommes pas contemporains des années 20, non plus de Dada. Les figures du passé ne peuvent pas nous servir de porte-parole ni, inversement, de cibles toutes destinées : soyons pertinents, soyons nos propres contemporains. Evoquer le passé ne signifie pas, nécessairement, procéder à sa momification ni même à son embaumement. Il ne s’agit pas d’être pro ou anti dada. Les révoltes de nos aînés peuvent être nôtres par sympathie, pas par idéal, l’idée est entendue. Dada n’est pas tout, « Dada est tatou, tout est dada » (Tzara).

L’Œuf pourri, Christian (Georges Herbiet), 1921 © MNAM

Au cours de la « visite privée en avant-première » de l’expo Dada à Beaubourg, le 4 octobre dernier, j’ai pu découvrir, derrière la vitrine d’un couloir moquetté ( !), L’Œuf pourri de Christian, réalisé en 1921. Anti Œil cacodylate ? Œuf cacodylate ? Province vs Paris ? Regardons d’un peu plus près la chose, lisons-la : Vérole, Opium, Poufs, Luxe, Casinos, Pédérastes, Snobs incultes, Bluff, NULLITÉS les C., Concours des plus belles pourritures, Peintres, Internationale du S.R., Auteurs, Police, Impuissance, Juifs … Mais aussi : Picasso, Dada, Cocteau, Moyses … Etonnant de constater la trilogie « Opium, Cocteau, Luxe » et le cousinage « Picasso, Dada, Merde ». Séparer le blanc du jaune de cet Œuf, en faire une île flottante.

Dans ce même couloir, une partie du fonds Doucet dans lequel je découvre un timbre publié par la revue Comœdia où apparaît Marthe Chenal.

Christian (Georges Herbiet) est chroniqué par le catalogue-bottin de l’expo dada, mais brièvement, brièvement. Qui dira cette vie ? Je regrette de n’avoir pas passé plus de temps avec Michel Sanouillet durant ma semaine parisienne, car il m’aurait sans doute renseigné avec force détails sur Christian, dont il a publié naguère le dernier texte, consacré à Duchamp (DU CHAMP OUTRE TOMBE, in Cahiers dada surréalisme n° 3, 1969). 1 1969, année où Christian décède. Poupard-Lieussou, dans ces Cahiers Dada, fournira quelques renseignements biographiques ( Christian « Le pérégrin dans l’ombre ») qui méritent à présent d’être étoffés. Voici le dernier paragraphe de cette chronique : « De retour à Paris, il s’installa comme constructeur-importateur des moteurs “La Meuse” boulevard Richard-Lenoir. En 1968, il perdit sa femme à laquelle il ne devait pas même survivre un an. Il a laissé de nombreuses notes manuscrites sous le titre : Soliloques d’un mécréant. » Soliloques …écho certain au Soliloque de Nausicaa de Pierre de Massot, dont la biographie manque encore à ce jour. (Paul B. Franklin y travaille et nous fournira sans aucun doute une matière de première main).

Et puis notre petite fête à L’Or du Temps, le 5 octobre. J’ai pu parler à nouveau avec Pascal Goblot, qui tourne en ce moment un documentaire-fiction autour du Grand Verre de Duchamp. J’ai pu rencontrer Jacques Sivan, qui a publié les Nouvelles Impressions d’Afrique telles que Roussel les avaient conçues (Editions Al Dante, 2004), qui m’a remis Machine-Manifeste (Editions Léo Scheer, 2003) ce soir-là et qui m’a parlé du Livre de Mallarmé. J’ai pu rencontrer également Jean-Luc Bitton, biographe d’Emmanuel Bove , de Jacques Rigaut, et qui m’a parlé de sa passionnante enquête sur Rigaut tout en évoquant au passage Crevard (baise-Sollers) de Thierry Théolier.

1 Etant donné Marcel Duchamp ferait bien de republier ce texte devenu introuvable.