16 juin 2005

A maman et à papa, tendrement, Pierre de Massot, 1926 [2]

Pierre de Massot et Robbie, Deauville, août 1925
Peu rémunératrices, les activités de Pierre de Massot le contraignent, en 1922, à quitter la capitale et à rejoindre Pontcharra. Une fois de plus, Picabia lui viendra en aide en lui proposant de remplir le rôle, au printemps 1922, de précepteur auprès de ses deux filles habitant avec leur mère, Gabrielle Buffet. L’épisode sera bref et de Massot finira par regagner Paris où il travaillera dans une librairie. Il y fera notamment la connaissance, entre autres acteurs du mouvement dada, de Tristan Tzara. A cette époque, de Massot prend la défense de Picabia, vivement attaqué par la critique à la suite de ses envois au Salon des Indépendants et au Salon d’Automne, en particulier à cause de ses toiles La Nuit espagnole et La Feuille de vigne. Faisant imprimer et distribuer un tract à la porte du Salon d’Automne, la défense de Pierre de Massot s’exprima sur un ton tout empreint des frasques dadaïstes : « Moi, Pierre de Massot, jeune homme idiot, provincial, sentimental, arriviste, opportuniste et sans avenir, j’affirme que vous seuls, charmants artistes, êtes encore persuadés que Francis Picabia se fout du monde [...] » Mais la liberté dada, apparemment, avait des limites pour certains, en l’occurrence pour le puritain André Breton. Lors de la soirée du Coeur à Barbe, qui se tint le 6 juillet 1923, de Massot lut une déclaration qui déplut fortement au chef d’orchestre de Littérature : « André Gide, mort au champ d’honneur, Pablo Picasso, mort au champ d’honneur [...].» Prenant la défense de Picasso, alors sur les lieux, Breton monta sur scène et ordonna à de Massot de quitter la salle. Devant le refus du jeune homme, maintenu de part et d’autre par les solidaires Robert Desnos et Benjamin Péret, Breton asséna un coup de canne à de Massot et lui fractura le bras, ce qui ne l’empêcha pas de terminer sa lecture après l’évacuation par la police de l’outragé et de ses sbires. Autre amitié d’importance, celle de Marcel Duchamp, dont il acquit plusieurs de ses œuvres au cours de sa vie et auquel il consacrera, en 1948, un article le présentant sous les traits les plus élogieux qui soient : « Tout de suite, j’admirais ce visage, cet admirable profil d’une pureté sans égale, cette élégance souveraine dans la vêture, les gestes, le parler, cette espèce de dandysme hautain que tempérait la gentillesse la plus exquise. Et ce rire silencieux aussi qui coupait le souffle aux pédants. » [« Esquisse pour un portrait à venir de Marcel Duchamp », Le Journal des Poètes]. En 1924, deux ans après son Essai de Critique Théâtrale, qu’il dédie à Germaine Everling et que préface Francis Picabia, de Massot publie un ouvrage pour le moins laconique consacré au père du ready-made et intitulé The Wonderful Book. Reflections on Rrose Sélavy : hormis une courte Introduction « Par une femme sans importance » (écrite par De Massot lui-même), cette publication se résume aux douze pages d’un agenda ne comportant que les mois de l’année. Marcel Raval chroniquera cette publication atypique dans le numéro 36 de la revue Les Feuilles Libres (mars-juin 1924) : « The Wonderful Book est un livre blanc, mais de cette blancheur par laquelle s’exprime un malaise, un manque de foi. Pierre de Massot, par ironie, observe deux minutes de silence pour tous ceux qui ne le feront jamais. » Un « manque de foi », ou un geste dada se jouant des limites traditionnelles imparties au livre et que le lecteur retrouve après le rappel des ouvrages publiés « du même auteur » : à paraître : Rien. Poursuivant une activité qui débuta dans Comœdia en 1920, de Massot continue de publier des articles ou des poèmes dans les nombreuses revues de l’époque. Son nom apparaît en effet aux côtés de ceux de Philippe Soupault, Serge Charchoune et Kurt Schwitters dans le troisième numéro de Manomètre (août 1923) ; dans Les Feuilles libres en 1923 et 1924; dans La Révolution surréaliste en 1929 où il fait partie des signataires du manifeste « La révolution d’abord et toujours ! », etc. Du 6 juin au 8 juillet 1929, loin de ses premières contributions dada dans 391, de Massot livre 33 épisodes d’un « récit paysan » à L’Humanité (De Père inconnu). Le choix de ce dernier quotidien comme support ne fut pas l’effet du hasard : les aspirations politiques de Massot l’amenèrent effectivement, à l’approche de la guerre, à devenir un militant actif du Parti Communiste Français, avant de consacrer ses dernières forces vives, à la fin des années cinquante, à des groupes d’extrême gauche d’obédience trotskiste. 1929 est une année noire pour le poète : le 8 novembre, il apprend le suicide de son ami Jacques Rigaut. L’auteur de l’« Agence Générale du Suicide » venait de mettre fin à ses jours avec le revolver qu’il lui avait remis quelques jours plus tôt. Si les textes des deux hommes diffèrent en bien des points d’un point de vue littéraire, une sensibilité commune, et peu commentée jusqu’à présent, les apparente. Pour ces poètes en quête d’absolu, qui ne firent que peu de concessions dans leur existence en définitive peu heureuse, Dada ne fut qu’un épiphénomène, un support fragile pour deux personnalités extrêmes ayant adopté la posture du dandy en pur désespoir de cause.

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