20 juin 2005

« Je suis affamé de liberté. Et me saoule à la paresse. » Clément Pansaers [2]

Extrait d'une lettre inédite de Clément Pansaers adressée à André Breton ©
Août 1920, Clément Pansaers séjourne à Paris pour quelques jours. Il rencontre alors Francis Picabia, qu’il recontacte en septembre pour lui soumettre un projet de manifestation dada à Bruxelles ainsi que le projet d’une maison d’édition dada. En raison des pourparlers engagés par les dadas parisiens (qui inviter, qui écarter de cette manifestation bruxelloise ?), ces deux projets n’aboutiront pas. Pour Pansaers, 1920 s’achève dans la déception, d’autant que Jean Paulhan vient de lui adresser une lettre dans laquelle il lui fait part de son refus de publier son Lamprido, un « roman » composé à partir de "Je Blennhorragie" : « (...) je ne me sens pas encore suffisamment fixé sur le sens et la portée que vous avez pensé donner à cette œuvre pour pouvoir l’accueillir dans la Nouvelle Revue française. » Début 1921, Pansaers fait partie des signataires du tract « Dada soulève tout » rédigé à l’encontre du futuriste Marinetti et plus particulièrement de sa conférence sur le tactilisme, prononcée en janvier au Théâtre de l’Œuvre à Paris et publiée le même mois dans Comœdia. Picabia se chargera de rappeler à Marinetti, dans un article également publié dans Comœdia, l’antériorité du tactilisme « inventé à New York, en 1916, par Miss Clifford-Williams. » Annoncé dans les premiers jours de février par la revue belge Ça Ira !, Bar Nicanor (avec un portrait de crotte de bique et de couillandouille par eux-mêmes) est publié le 15 février 1921 aux éditions A.I.O. Tiré à trois cent cinq exemplaires, ce volume d’une cinquantaine de pages est imprimé en caractères sépia sur un papier orange. Le soin apporté à la mise en page (celle-ci est rythmée par une étroite colonne de texte distribuée à gauche, à droite ou au centre des folios) ainsi qu’à la typographie font de Bar Nicanor une des plus étonnantes publications dada. Les pérégrinations qu’accomplissent Crotte de Bique et Couillandouille, à travers des dancings où l’on boit force alcools (gin, whisky, grappa, kirsch, anis, absinthe, vodka, brandy, Triple-sec, Cointreau, marasquin, Bénédictine, Grand Marnier ...) et dans lesquels on danse au rythme du fox-trot, du jazz ou du ragtime, constituent la toile de fond sur laquelle Pansaers donnera libre cours à son improvisation, convoquant tour à tour jeux de mots et onomatopées ou encore des termes anglo-saxons qui firent florès à cette époque où l’Amérique faisait encore rêver. En ce mois de février 1921, la prose jubilatoire de Pansaers semble se situer aux antipodes de sa situation personnelle : dans une lettre adressée à Valéry Larbaud, le poète annonce qu’il a tout perdu à la bourse et qu’il envisage de partir pour Haïti ou la Chine. Une velléité d’exotisme, car Pansaers poursuit son travail et achève le 20 mars un texte intitulé "Point d’orgue programmatique pour jeune orang-outang". Fin avril, Pansaers s’installe à Paris. Le soir du 25, au Certà, éclate la fameuse « affaire du portefeuille » qui va diviser les dadas parisiens et participer à la décomposition de leur mouvement. La polémique opposera notamment Pansaers à André Breton, ce dernier étant partisan de conserver le portefeuille, avançant qu’il n’a pas mangé depuis plusieurs jours. Finalement, Paul Eluard remettra le lendemain l’objet trouvé à son propriétaire. Les arguments de Pansaers, relatant la discorde à Francis Picabia et lui annonçant son désir de se retirer du groupe, furent suffisamment convaincants car l’auteur de Jésus-Christ rastaquouère suivit Pansaers dans sa décision. Trois mois plus tard, Pansaers publiera dans Le Pilhaou Thibaou (juillet 1921) « Une Bombe déconfiture aux Iles sous le vent », un texte dans lequel Breton est dépeint sous les traits d’un « professeur platonicien - gonflé au pourpre violet de l’excommunication. »

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