17 juin 2005

« Je suis affamé de liberté. Et me saoule à la paresse. » Clément Pansaers [1]

Couillandouille / et Crotte de Bique / en tournée 270e de / Saoulographie ( ... ) Pic me up / sucer toute la Californie / à la paille : assurément, il faut aller chercher du côté de chez Kurt Schwitters (Anna Blume, 1919) ou encore chez Melchior Vischer (Transcerveau express, 1920), pour trouver un esprit aussi singulier que celui de Clément Pansaers, auteur de ces lignes issues de Bar Nicanor (1921). Véritable apax dans le paysage dada, l’œuvre de Clément Pansaers demeure aujourd’hui encore d’une incisive fraîcheur d’esprit. « Les mots sans rides » 1 pourraient aisément qualifier ce corpus à qui Dada doit beaucoup mais qui en revanche n’a guère contracté de dettes à l’égard de ce dernier. Les « purs dadaïstes » avaient une longueur d’avance sur Dada, qu’ils servirent pour s’amuser avant de passer à autre chose. Clément Pansaers fut de ceux-ci, à cette notable différence qu’il n’eut pas beaucoup de temps devant lui. C'est dans la province du Brabant flamand, à Neerwinden, que naît Clément Pansaers le 1er mai 1895. Ses parents le destinent aux ordres dès l’âge de dix ans. Il ne quittera le séminaire qu'à l'âge de vingt et un ans, échappant de justesse à son ordonnancement de sous-diacre. Dans un texte autobiographique encore inédit à ce jour, Pansaers commente la conséquence de sa défroque : « Ma mère, bigote accomplie [...] m'envoya aussitôt sa bulle d'excommunication et défense formelle de rentrer à tout jamais chez elle. Je ne fus plus son fils et là-dessus je tombai dans la vie comme dans le vide. » Quelque six années après son mariage (en octobre 1907) avec Marie Robbeets, Clément Pansaers trouve un emploi à la Bibliothèque Royale de Belgique, à Bruxelles, un poste qu'il occupe de mai 1913 à septembre 1914. C'est également dans la capitale belge que Pansaers rencontre Carl Einstein, dont il devient l'un des proches et dont il traduira deux des trois premiers chapitres de Bébuquin ou les dilettantes du miracle, paru en 1913. L'auteur de Negerplastik (1915) et Pansaers prendront part activement, en novembre 1918, au soulèvement des soldats-ouvriers à Bruxelles. Début 1917, alors qu'il travaille à la réalisation du premier numéro de la revue Résurrection (il en dirigera les six livraisons entre décembre 1917 et mai 1918), Pansaers rédige L'Apologie de la paresse, dont un extrait paraît, début mai, dans la revue Haro, avant d'être publié aux Editions Ça Ira ! en juillet 1921, mois où naît son fils, Clément Claus. Conçu sous la forme d’un questionnaire (« … Tu t'obstines ? La paresse est la grande volonté qui tourne le ciel et la terre ! »), L'Apologie de la paresse porte déjà en germe les accents dada du Pan-Pan au Cul du Nu Nègre et de Bar Nicanor : « Saveur ? Enorme. Saveurs royales, impériales, extra-dry (…) » En 1919, par le biais d'un revue anglaise (Infinito), Pansaers découvre l'existence de Dada. Dans une lettre du 8 décembre 1919, il s'adresse à Tristan Tzara pour lui proposer sa collaboration à la revue Dada (« … [qui] s'apparente à ma conception poétique et artistique ») que dirige le poète roumain. Tzara compte alors Pansaers parmi la longue liste des « Présidents Dada », figurant dans le Bulletin Dada n° 6 (mars 1920), lequel précise par ailleurs que « Tous les membres du Mouvement Dada sont présidents » et que « Tout le monde est directeur du Mouvement Dada. » L’esprit dada de Pansaers ne témoigne pas moins d’une pertinence rare quant à l’immédiate situation de l’après-guerre qui laisse l’Europe exsangue et la relève des jeunes esprits désabusée. La revue Les Humbles (n° 9-10 de janvier-février 1920) fait place à une analyse de Pansaers sous le titre « Orangoutangisme », un article qui ne laisse pas de nous étonner au regard de sa clairvoyance sans appel : « La guerre n’a donc pas assez massacré, puisque l’après-guerre organise méthodiquement le commerce du massacre. L’industrie de l’idée est systématisée. Le commerce de la parole en est le succédané. (...) Le chaos n’est pas né de la guerre. Du chaos de l’avant-guerre naquit la muflerie de la spécialisation,qui enfanta, en séries, les abstractions telles que : jésuitisme, industrialisme, intellectualisme et mille autres idéologismes corrupteurs (...) Fallait-il que cette succession d’idéologies, avec leurs multiples subdivisions de logique, critique, psychologique, artistique et autres morales scientifiques pour déterminer la place du ventre dans ce monde (...) Toute révolte avorte dans l’abondance. »

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1 « Les mots sans rides », article d’André Breton paru dans Littérature, n° 7, décembre 1922, pp. 12-14.