On était en décembre, le froid était vif, Picabia était enveloppé de tricots et d’écharpes de laine, mais ne portait pas de chapeau. Il me serra la main avec une courtoisie tout espagnole et ignora les autres. Sa présence donnait un certain cachet au vernissage. La galerie se remplissait ; je m’étonnais qu’il y eût tant de monde et j’étais plein d’espoir. Les prix des tableaux avaient été fixés au minimum. S’ils se vendaient bien, je pourrais débuter. J’avais fait une nouvelle série de toiles plus insolites que toutes celles que j’avais peintes auparavant. Une grande partie de la conversation m’échappait, mais on me serrait beaucoup la main et je compris qu’on me faisait des compliments. Un étrange petit homme, loquace, âgé d’une cinquantaine d’années, s’approcha de moi et me conduisit devant une de mes toiles. Avec sa petite barbe blanche, son pince-nez à l’ancienne mode, son chapeau melon, son manteau et son parapluie noirs, il ressemblait à un employé de pompes funèbres ou d’une banque conservatrice. Les préparatifs du vernissage m’avaient fatigué, la galerie n’était pas chauffée ; je frissonnai et dis, en anglais, que j’avais froid. Il répondit en anglais, prit mon bras et me conduisit dehors au café du coin, où il commanda des grogs. Là, il se présenta : Erik Satie, et continua à parler en français. Je lui dis que je ne comprenais pas. Il me jeta un regard malicieux, amusé, et dit que cela n’avait pas d’importance. (Man Ray, Autoportrait, trad. Anne Guérin, Actes Sud Babel, 1998, pp. 159-160).
C'est en scannant ce catalogue de la première exposition parisienne de Man Ray que j'ai découvert qu'une de ses œuvres (n° 25 du catalogue, datée de 1922) était intitulée Isadora Duncan nue. Après avoir passé en revue la plupart des livres et catalogues consacrés à Man Ray, je lance donc un avis de recherche. Si quelqu'un pouvait me renseigner sur cette œuvre (s'agit-il d'une toile, d'un dessin ?) et, au mieux, m'en fournir une copie, ce serait Noël avant l'heure. Deux livres imposants viennent de paraître : une biographie de Satie signée Jean-Pierre Armangaud
et la Correspondance avec les artistes (1903-1918) d'Apollinaire,
respectivement 600 et 944 pages, de quoi passer l'hiver en la meilleure compagnie qui soit.