4ème de couverture de Jésus-Christ Rastaquouère, Picabia, éd. Allia, Paris, 1996 {Une première édition de ce volume a paru chez Allia en 1992}
02 août 2006
Moi, mais enfin, tous les gens, faire l'amour (Francis Picabia)
C’est grâce à Fabrice Pascaud, que j’ai pu obtenir aujourd’hui, au cours d’une conversation MSN, deux documents sonores dans lesquels s’exprime Francis Picabia. La voix de Francis Picabia, ici détendue, comme détachée de toute chose grave, peut être apparentée à celle de Duchamp. Détachement, relativisme, une pointe de provocation, de quoi nous distraire quelques minutes avec la voix de l’unique eunuque. Je retiens du premier document ces réparties qui confirment l’amitié de Picabia et de Duchamp :
Jean Daive : Vous êtes allé quelques fois en Espagne, je crois, pour voir les grands maîtres, et vous n’êtes pas arrivé jusqu’au bout ?
Francis Picabia : Non, parce que j’ai rencontré un joueur de billard qui m’a beaucoup intéressé alors en descendant à Madrid nous avons été jouer au billard. J’ai passé trois-quatre jours avec lui. J’ai joué au billard et je suis rentré à Paris.
J.D. : Vous n’êtes pas allé au Prado ?
F.P. : Non, j’avais complètement oublié.
Le deuxième entretien, mené par Georges Charbonnier en 1950 * présente un Picabia un peu plus posé, usant de « n’est-ce pas » à la fin de certaines de ses phrases, ces « n’est-ce pas » qui peuvent agacer parfois tant ils sont éloignés du Picabia des années dada. Mais qui pourrait aujourd’hui parler précisément, pertinemment, de Picabia ?
Georges Charbonnier : Mais ce qui me paraît le plus remarquable, au moins le plus intéressant peut-être, c’est Jésus-Christ Rastaquouère. C’est un titre un peu étrange.
Francis Picabia : Qui vous a étonné ?
G.C. : Absolument.
F.P. : Bien. Le mot rastaquouère veut dire un monsieur dont on ne connaît pas les moyens d’existence. Alors si vous connaissez les moyens d’existence de Dieu, dites-les moi.
G.C. : C’est une question qu’on a dû vous poser très souvent, déjà ?
F.P. : Oui, mais j’ai pas pu y répondre à cette question-là, c’était comme les autres. Beaucoup de curés sont venus me voir pour me demander pourquoi ce mot rastaquouère, n’est-ce pas ?
[…]
G.C. : Votre prochain recueil va paraître prochainement, je crois ?
F.P. : Dans un mois à peu près.
G.C. : Il s’intitule ?
F.P. : Chi-lo-sa.
G.C. : Et c’est un recueil de poème en prose ?
F.P. : De pensées, n’est-ce pas. Pas particulièrement de poèmes, avec des pensées aussi. C’est Pierre Benoît qui doit le faire paraître.
G.C. : Que vous avez écrites récemment je crois ?
F.P. : Je les ai écrites l’année dernière en Suisse.
G.C. : Je voudrai vous poser un dernière question, une de plus. Qu’est-ce qui vous a vraiment intéressé dans la vie ?
F.P. : Ce qu’il y a vraiment d’intéressant dans la vie ?
G.C. : Ce qui vous a intéressé, vous ?
F.P. : Moi, mais enfin, tous les gens, faire l’amour.
[Vous avez entendu Incompatibilité d’humour. Georges Charbonnier vous a présenté "Francis Picabia", avec le concours de Roger Blin et Jean Topard].
* Picabia cite son recueil Chi-lo-sa à paraître « dans un mois » chez l’éditeur alésien Pierre-André Benoît, ce qui date l’entretien de 1950. Chi-lo-sa fut signé par Picabia : « Rubigen, 25 août 1950 » in Picabia Ecrits 1921-1953 et posthumes, p. 305. 2ème tome des écrits complets de Picabia parus chez Pierre Belfond [collection Les Bâtisseurs du XXe siècle, Paris, 1978 – Textes réunis et présentés par Olivier Revault d’Allonnes et Dominique Bouissou]. Les deux tomes des écrits de Picabia ont fait l’objet d’un réédition récente, dirigée par Carole Boulbès et préfacée par Bernard Noël. Editions La Mémoire du Livre, Paris, 2002-2003. Enfin, les éditions Allia ont publié, de Francis Picabia :