Quinze ans avant leur publication définitive, sous une forme révisée et augmentée (L’anneau de Saturne, Fayard, 1970), les souvenirs de Germaine Everling parurent initialement dans le numéro de juin 1955 des Œuvres Libres sous le titre « C’était hier : Dada… » On y trouve notamment la relation qu’elle fit des premiers symptômes du zona ophtalmique de Picabia :
« Ce fut au cours d’un déjeuner chez elle [Isadora Duncan] que Picabia ressentit les premières atteintes d’un zona ophtalmique qui devait l’éprouver cruellement. Il rentra en disant :
– Je sens que je vais avoir quelque chose de grave.
Et comme il avait un portrait à finir dont la destinée lui tenait à cœur (celui de Mme Elpitza Comnbary), il se mit immédiatement au travail et prolongea la séance jusqu’au lendemain matin. À l’aube, le portrait était terminé, mais le peintre souffrait le martyre.
Il resta trente jours et trente nuits dans le plus pénible état. C’est alors qu’il fit connaissance du docteur Henri Bouttier, qui devait devenir l’un de ses plus proches amis. Celui-ci ordonna pour le soulager des granulés d’aconitine : poison d’un dosage difficile et dont l’effet variait suivant les tempéraments. Picabia avait-il une peur superstitieuse de cette petite boîte pharmaceutique – et se sentait-il pourtant attiré vers elle, par ce qu’elle représentait de répit. Il ne trouva rien de mieux, pour avoir toutes les garanties, que de me faire absorber le médicament, afin d’en surveiller les effets. J’acceptai par amour de servir de cobaye !... »
Les Œuvres Libres, 173-174.
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C'est dans un numéro du Mercure de France (mai 1962) entièrement consacré à Blaise Cendrars (le site Livrenblog en a relevé la totalité du contenu ici) qu'on trouve un témoignage de Georges Ribemont-Dessaignes, dressant le portrait d'un Picabia, figure du passé, qui aurait perdu son aura dada :
" Toutes ces phrases, tous ces mots qui me viennent parce qu’aujourd’hui je dois ressusciter Blaise Cendrars en un instant de sa vie, et que les brumes sont opaques qui le retiennent là-bas, au bout du tunnel des années. Presque en même temps j’ai à retrouver Picabia pour un exposé de sa vie et de son œuvre, en tête d’un catalogue de ses œuvres. Or que vois-je ? Très peu de temps après la dernière grande guerre (ah, ces guerres, toujours les dernières...), de retour à Paris dont j’avais été absent depuis 1934, j’ai rencontré Picabia dans le Métro, Picabia que je n’avais plus vu depuis plus de vingt ans. Il était là, avec sa dernière femme, c’était bien lui, toujours reconnaissable, avec son port de tête et le mouvement qu’il avait pour la rejeter légèrement en arrière, comme pour un défi. Je le voyais là, non comme l’image que j’en avais conservée, mais tel qu’il était devenu, et j’en éprouvais un grand malaise douloureux, car tout ce que j’avais connu de lui du temps de notre amitié se trouvait donc là, mais avec ce que je ne connaissais pas, ce qui s’était passé durant son long séjour à Cannes et qu’on m’avait rapporté – mais les paroles en ce cas ! – et tout cela se dégradait d’un coup, s’incorporait à l’image que j’avais devant les yeux, d’un homme qui persistait à vouloir se survivre. Image tragique qui désormais me masque le Picabia de jadis avec sa séduction, sa force et ses émouvantes faiblesses, si désarmantes, tout ce qui, au fond, est si précieux et si périssable...
Cendrars et Picabia au Tremblay-sur-Mauldre, été 1923
Or aujourd’hui j’évoque Cendrars, le Cendrars que je rencontrais jadis, au temps de Dada, avec Picabia précisément, au Tremblay-sur-Mauldre, petit village de Seine-et-Oise, non loin du hameau où jadis moi-même j’habitais."
(Mercure de France, p. 115)