10 février 2009

T'ai-je bien compris ?

Karel Teige

« La création artistique est livrée à la merci des humeurs de la bourse, on spécule sur des génies inconnus, sur le fait que la mort d’un jeune auteur ou seulement la grave maladie dont il est atteint entraînent une hausse des prix de ses œuvres. On travaille au moyen d’une propagande et d’une publicité raffinées et très étendues, la presse et la critique sont corrompues. De nos jours, à Paris, tous les critiques d’art des revues ayant une importance commerciale et une certaine influence sont soit des agents payés au service des grands marchands d’art, des impresarios de théâtre ou des producteurs cinématographiques et, dans ce cas, soit leur commission est un secret de polichinelle, soit ils sont payés, au moins occasionnellement, selon les cas. » […] « La commercialisation de l’art est la preuve du mépris que la bourgeoisie montre à l’égard des valeurs spirituelles, tant que celles-ci ne produisent pas d’argent. Les seuls critères et d’ailleurs les plus convaincants pour juger de nos jours de la qualité de l’art sont : le nombre d’exemplaires vendus d’un livre, les prix aux enchères, les offres d’amateurs et des collectionneurs, les places remplies au théâtre et d’autres critères analogues, d’ordre quantitatif et pécuniaire. La critique cède la place à la publicité, la chronique dans les journaux se transforme en annonce commerciale ou peu s’en faut, la spéculation habile du trafiquant se substitue à l’appréciation spirituelle des valeurs artistiques. »

Karel Teige, Le marché de l’art [1936], traduit du tchèque par Manuela Gerghel, Allia, 2000, pp. 50-51 et 56.